Roger Federer, dimanche 16 juillet, après son huitième sacre à Wimbledon. | ANDREW COULDRIDGE / REUTERS

Longtemps, le petit Roger Federer s’est imaginé triomphant sur le Centre Court du All England Lawn Tennis Club, théâtre du tournoi de Wimbledon. « Gamin, je blaguais toujours avec mes copains en disant qu’un jour, je gagnerais ici. Aujourd’hui, c’est devenu réalité et j’ai du mal à y croire », disait-il le 7 juillet 2003, tenant dans ses bras son premier trophée en Grand Chelem.

Quatorze ans plus tard, les chiffres sont encore moins vraisemblables. A 35 ans et 11 mois, il en comptabilise désormais dix-neuf, après sa victoire en finale, dimanche 16 juillet, contre Marin Cilic (6-3, 6-1, 6-4), synonyme de huitième titre historique. Le Suisse distance définitivement l’Américain Pete Sampras et le Britannique William Renshaw, qui s’étaient arrêtés à sept victoire sur le gazon londonien – le record absolu est détenu par Martina Navratilova, vainqueur à neuf reprises.

Favori à Londres

Ses succès en début d’année à l’Open d’Australie, Indian Wells et Miami, puis à Halle, fin juin, en avaient fait le favori à Londres, où sa dernière victoire remontait à 2012. Jamais inquiété (pas un set de perdu en sept matchs), ses rivaux Nadal, Djokovic et Murray écartés de son chemin plus aisément que prévu, le trophée lui tendait les bras. L’image de dimanche contraste avec celle qu’il avait laissée il y a un an en ces lieux, où l’ex-numéro un mondial s’était pris les pieds dans le tapis herbeux, au figuré comme au propre.

Le Suisse y avait disputé le dernier match de sa saison, battu en demi-finale par le Canadien Milos Raonic, mais plus encore par un genou gauche qui le faisait souffrir depuis des mois, la faute – officiellement – à une vilaine glissade un soir qu’il donnait le bain à ses filles. Cela lui avait valu de subir une arthroscopie, la première opération de sa carrière, lui que tout le reste du circuit enviait d’être jusque-là épargné par les blessures sérieuses.

Six mois de repos forcé pour se soigner et ménager son corps fourbu. Six longs mois… Au point qu’on se demanda s’il allait un jour retrouver les sommets. Mais Federer le répétait, il n’était mû que par un seul objectif : renouer avec la compétition. A la recherche du temps perdu, comme un assoiffé après une traversée du désert.

« La programmation sera la clé de la longévité »

Un rendez-vous en particulier était coché dans son calendrier : Wimbledon. Son niveau de jeu en janvier, où il s’imposa dès son retour, à l’issue d’une finale vintage contre Rafael Nadal à Melbourne, en surpris plus d’un – lui le premier. Et le Suisse continua sur sa lancée, signant trois victoires en quatre tournois. Ces quelques mois « irréels », selon ses mots, motivèrent sans doute sa décision de faire l’impasse sur la saison de terre battue. Une parenthèse de dix semaines pour mieux se concentrer sur celle du gazon, une « surface naturelle » pour lui. « Le début d’année a été magique pour moi mais la programmation sera la clé de la longévité », s’était justifié le Suisse, qui fêtera ses 36 ans le 8 août. Une mise au vert risquée, critiqueront certains, à qui cette issue victorieuse donne tort.

« Vous sentez-vous immortel ? », osa un impudent après sa qualification pour la finale, vendredi. Roger Federer – pourtant pas le moins orgueilleux du circuit – le coupa aussitôt d’un « non » ferme. Même si certains joueurs ne sont pas loin de le penser. « Rien n’indique que le temps a une quelconque emprise sur lui. Il prouve encore une fois sa grandeur dans notre sport, commenta ainsi sa victime en demi-finale, Tomas Berdych. Il ne donne aucunement l’impression de vieillir ou de flétrir. Regardez les autres types de 35-36 ans, leur âge et les années passées sur le circuit se font clairement sentir sur leur jeu. Pas lui. Il faut vraiment être unique pour ça. »

Sept tournois disputés depuis le début de la saison, cinq titres. Suffit-il de prendre une pause pour se régénérer ? A cette question, le Tchèque apporta une réponse tranchée : « Moi, si je passe six mois sans jouer un seul tournoi, je ne sais même pas si je peux revenir. C’est une recette qui marche pour lui, mais assurément pas pour tout le monde. »

Au tennis, faut-il jouer moins pour avoir une carrière plus longue ?
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« Il est si bien assorti à Wimbledon »

Cette quinzaine, dans l’atmosphère si feutrée du Centre Court, où l’on ne distingue parfois que le seul bruit des balles, les 15 000 spectateurs se sont délectés de son répertoire. Chaque match fut un récital de services inspirés. De revers limpides. De volées ouatées – même sur un gazon plus pelé et bosselé que d’ordinaire. Une clameur s’élevait après chaque frappe : un grand « ahhhhhh » après un coup gagnant ; un grand « ohhhhhh » en cas de (rare) faute directe.

« Wimbledon est le théâtre parfait pour y exprimer son talent et sa personnalité »,résume Christopher Clarey, journaliste au New York Times. « Il est si bien assorti au tournoi. S’il fallait choisir le joueur qui incarne le mieux Wimbledon, ce serait probablement Roger Federer », renchérit son confrère britannique du Times, Stuart Fraser.

Plus qu’ailleurs, on y loue « son élégant revers à une main et ses tenues inspirées de la tradition [qui] rappellent aux spectateurs une époque révolue », comme l’écrit le musée du club à son sujet. Il a rapidement laissé tomber le catogan et la barbe de trois jours des premiers sacres – outrageous dans pareil décor – pour revêtir, tantôt une veste militaire blanche aux liserés or, tantôt un cardigan crème ou bien un costume trois-pièces – immaculé, cela va sans dire.

« La classe n’amène nulle part », rétorqua cependant Federer à un journaliste qui y voyait la clé de sa longévité. Et de rappeler « qu’il faut forcément travailler et avoir l’amour du jeu tous les jours pour enchaîner les conférences de presse, les entraînements », et a fortiori « les matchs ». A Wimbledon ou ailleurs, même quand on s’appelle Roger Federer, il faut cultiver son jardin.