L’actrice Jodie Whittaker interprétera le treizième Docteur Who. | BBC

« Je viens juste de hurler “c’est une fille” si fort que maintenant mes voisins pensent que je suis enceinte. » L’excitation de cette internaute vient en fait d’une toute autre nouvelle : l’annonce, dimanche 16 juillet, par la BBC, que le treizième Doctor Who, héros de la série culte homonyme, sera interprété par une femme, Jodie Whittaker. Une première pour cette série de science-fiction née en 1963, qui a déjà connu douze interprètes masculins.

Sur Internet, le sujet était l’un des plus discutés dimanche soir, mais aussi des plus controversés. Si une grande partie des internautes se sont réjouis de cette nouvelle, une autre l’a au contraire vivement critiquée. « Bye bye Doctor Who », « R.I.P » pouvait-on lire dans certains messages, publiés sur Twitter, Facebook, dans les commentaires des articles de presse ou dans de grands forums comme Reddit ou le français Jeuxvideo.com.

« Désormais, ça ne m’intéresse plus »

Certains n’ont pas dissimulé une hostilité ouvertement sexiste à cette annonce. « La BBC peut se garder son rouge à lèvres sonique », écrit par exemple un internaute, en référence au tournevis sonique utilisé par le personnage. « Alerte info : voici un aperçu exclusif de l’intérieur du Tardis du nouveau Doctor Who », écrit un autre à propos de la machine à voyager dans le temps et dans l’espace du héros, accompagnant son message d’une photographie de cuisine.

Mais beaucoup de détracteurs l’assurent : s’ils s’opposent à l’arrivée de Jodie Whittaker, ce n’est pas par sexisme, mais « parce qu’ils considèrent que ce choix a été fait pour faire plaisir aux sensibilités PC, et non pour les besoins de l’histoire », affirme un internaute. « PC » pour « politiquement correct », un acronyme qui revient incessamment dans les discussions sur le nouveau Docteur. Un autre est aussi souvent brandi : « SJW », pour « social justice warrior », qu’on pourrait traduire par « guerriers de la justice sociale » ; un acronyme souvent utilisé de façon péjorative pour dénoncer certains progressistes. « Bien joué la brigade PC de la BBC, qui a réussi à ruiner “Doctor Who”. Ça ne devrait jamais être une femme. Désormais ça ne m’intéresse plus », écrit l’un. « Voilà un autre divertissement que j’aimais qui emprunte la route PC/SJW à la con. Adieu “Doctor Who” », écrit un autre.

Une tendance de la culture pop

C’est que « Doctor Who » n’est pas le seul à féminiser son casting. Ces derniers mois, le remake de Ghostbusters a par exemple été interprété par des femmes. Les deux derniers films de l’univers « Star Wars », Le Réveil de la force et Rogue One, ont tous deux mis en scène une héroïne dans le premier rôle. Une femme a également été annoncée comme personnage principal de la prochaine série « Star Trek ». On peut noter aussi que le rôle important de l’Ancien, dans Doctor Strange, a été joué par une femme dans l’adaptation cinématographique du comics.

Une tendance qui déplaît à une frange de la population, devenue très visible avec l’émergence du mouvement Gamergate en 2014, qui, bien qu’hétéroclite, rejette généralement les discours féministes et conspue ce qu’ils considèrent comme l’immiscion du politiquement correct dans les jeux vidéo, et plus largement, dans la culture populaire, au mépris, selon eux, de la liberté artistique. Une nébuleuse qui a donné lieu à plusieurs campagnes de harcèlement en ligne, souvent dirigées contre des féministes. Depuis, le Gamergate a popularisé ce type de pratique et des termes comme « social justice warrior », qui s’étendent au-delà de ce mouvement.

En 2015, l’actrice Leslie Jones, qui interprète l’un des personnages principaux de SOS Fantômes (Ghosbusters), a par exemple été visée par une virulente campagne de harcèlement en ligne. En janvier, des internautes ont par ailleurs appelé, en vain, au boycott de Rogue One, qualifié de « propagande féministe ».

L’enthousiasme l’emporte

Toutefois, la place des commentaires hostiles à la nouvelle Doctor Who est à relativiser. Sur Twitter, il était très loin d’être majoritaire dimanche, même si sa place était plus importante sur d’autres sites, comme dans les commentaires des lecteurs de certains médias, comme le Daily Mail britannique.

Des réactions ravies ont en effet inondé la Toile. « J’ai attendu toute ma vie ce moment ! Les femmes peuvent être des jedis, les femmes peuvent être des ghosbusters, les femmes peuvent être des Seigneurs du Temps », se réjouit une internaute. « Doctor Who » narre les aventures d’un Seigneur du Temps venu de la planète Gallifrey, qui voyage dans le temps et dans l’espace avec son « compagnon », généralement interprété par une jeune femme.

« Toutes les petites filles qui regardent “Doctor Who” vont enfin pouvoir s’imaginer autrement que comme un simple compagnon », s’émerveille une autre sur TumblR, plate-forme dont les utilisateurs ont accueilli très favorablement la nouvelle, en publiant dans les heures qui ont suivi de nombreux fanarts pour rendre hommage à leur nouvelle héroïne. Un certain nombre d’internautes, femmes et hommes, ont aussi annoncé qu’ils recommenceraient à regarder la série, qu’ils avaient finie par abandonner.

« Doctor Who », une série progressiste ?

Nombreux sont aussi ceux à avoir répondu aux personnes critiquant l’arrivée de Jodie Whittaker. « Si vous pensez que ce n’est pas réaliste que le Docteur change de genre, alors j’ai de mauvaises nouvelles pour vous concernant les extraterrestres, le voyage dans le temps et la régénération », qui permet au Docteur de changer de corps pour éviter la mort, moque un internaute.

« Si vous utilisez “social justice warrior” comme insulte, j’ai bien peur que cette série ne soit pas pour vous. Le Docteur est le plus grand SJW de tous les temps ! », clame un autre. Ce qu’ont souligné plusieurs internautes, rappelant la présence, dans « Doctor Who », de couples homosexuels ou encore de rôles féminins forts. « Les gens qui disent que “Doctor Who” est devenu complètement SJW n’ont pas été très attentifs : “Doctor Who” a toujours parlé de femmes “badass” [qui inspirent le respect]. »

« Doctor Who » serait-elle donc une série progressiste ? Le débat existe, et il ne date pas d’hier.

D’autres téléspectateurs lui reprochent bien au contraire d’être misogyne, en mettant en scène, depuis 1963, un héros brillant, masculin et blanc, toujours suivi aveuglément par une jolie jeune femme. « Je vous en prie, faites en sorte que son compagnon soit un jeune homme sexy qui porte des vêtements très courts sans aucune raison », raille un internaute.

Mais comme l’ont rappelé de nombreuses personnes dimanche, l’annonce de chaque nouveau Docteur génère à chaque fois son lot de polémiques, dans un cycle bien connu des fans : « Je déteste ce type = > Il est pas mal, mais le dernier était mieux = > Meilleur. Docteur. De. L’histoire. = > Non ! Ils ne peuvent pas le remplacer ! » Une chose est sûre, comme tous les Docteur Who, Jodie Whittaker porte une lourde responsabilité sur ses épaules.