Des enfants se baignent dans le petit bassin de 40 centimètres d’eau inauguré mardi 18 juillet, dans le bassin de La Villette, à Paris. | MARTIN BUREAU / AFP

Des serviettes de bain décolorées et un paquet de gâteaux dépassent du panier en osier de Catherine. Inès, 8 ans, supplie son père de « rester encore un peu » pour profiter de « sa nouvelle amie », rencontrée entre deux brasses approximatives, une heure plus tôt. Anne-Aël, mère de famille de trois garçons, surveille d’un œil distrait sa progéniture, plongée dans la lecture de la saga d’Elena Ferrante. Un groupe d’ados lézarde au soleil, non loin du point d’eau, où l’une des jeunes filles sera finalement jetée sans sommation. Mardi 18 juillet, le bassin de La Villette revêt des airs de plage.

C’est là, au pied de vieux immeubles des années 1970, que le premier site de baignade « en eau libre » de Paris a été inauguré par la maire socialiste de la capitale, Anne Hidalgo. « C’était un rêve, il se réalise », a déclaré l’élue, saluant l’aboutissement de ce projet vieux de dix ans, visant à assainir l’eau usée des stations d’épuration et celle des égouts. Après « des années d’effort », le taux d’entérocoques et d’Escherichia coli (E. coli), pudiquement nommés « bactéries intestinales », a diminué. Si bien que, depuis deux ans, l’eau a atteint une qualité permettant la baignade dans le bassin de La Villette.

Pour s’assurer que l’eau reste propre dans la zone de baignade, neuf points de contrôle ont été installés, allant du bassin de La Villette et remontant le canal de l’Ourcq jusqu’à la Marne, son affluent. Des analyses sont réalisées toutes les trois heures dans les trois bassins de la zone de baignade, dont l’eau est renouvelée en permanence avec celle du bassin de La Villette. « Les gens pensent qu’il s’agit d’une sorte de piscine en plein air mais fermée. En réalité, l’eau du canal arrive par-dessous, et des filtres empêchent que les feuilles, déchets solides et poissons s’invitent dans le bassin », explique David Riguaudie, qui supervise l’équipe de six maîtres-nageurs, dépêchés de 11 heures à 21 heures sur place.

« On voit rien dans l’eau ! »

Quelques algues nagent toutefois au milieu des baigneurs. Ce qui n’a pas échappé à la trentaine d’enfants et préadolescents, venus du 19e arrondissement de Paris, dans le cadre du programme Ville vie vacances (VVV), qui permet aux jeunes des quartiers populaires d’accéder à des activités sportives pendant les vacances. « Au fond de l’eau c’était visqueux, il y a des algues, et même des petits poissons qui grattent les pieds », résume Laura, 9 ans, qui semble malgré tout enthousiasmée par sa sortie. « Quand on plonge avec nos lunettes de piscine, on ne voit rien au fond de l’eau, c’est tout vert », regrette Emilion, l’aîné du groupe, âgé de 13 ans, qui se plaint d’une eau « trop froide », pourtant à 24 degrés en moyenne.

Les clichés sur l’eau prétendument insalubre du canal de l’Ourcq sont tenaces et n’épargnent pas les adultes, à l’instar de Bouchra, venue par curiosité, « mais surtout pas pour se baigner ». « Fermez la bouche les enfants ! », crie-t-elle en direction de la zone de baignade. « Moi, j’ai tendance à nager la bouche ouverte, alors j’aurais trop peur d’avaler une algue », commente la mère de famille de 44 ans, qui « préfère la piscine municipale parce que c’est forcément plus propre ».

Un jeune homme plonge dans l’un des trois bassins inaugurés mardi 18 juillet par la Ville de Paris, au bassin de La Villette. | MARTIN BUREAU / AFP

En plus de rappeler au mégaphone les consignes de sécurité, maîtres-nageurs et agents techniques font de la pédagogie, assurant aux baigneurs qu’ils peuvent « boire la tasse sans inquiétude ». « Les algues, c’est ce qui permet de filtrer les bactéries, et les poissons sont le signe d’une eau pure et d’un retour de la biodiversité », détaille Steeve, 32 ans, agent technique chargé de la maintenance aux côtés de cinq autres employés, mobilisés jusqu’à la fermeture du site, prévue le 10 septembre.

Jane n’a pas eu besoin de discours rassurant pour emmener ses deux enfants se baigner. Cette Autrichienne de 38 ans, qui a vécu plusieurs années à Zurich, où elle profitait d’un grand lac en plein milieu de la ville, « préfère largement le naturel des algues à l’ultra-chimique du chlore ». Pour d’autres raisons, Nathalie, venue avec son fils de 11 ans, préfère elle aussi l’eau du bassin de La Villette à celle de la piscine municipale :

« Je viens du Sud, alors même si l’eau est sale, ça ne peut pas être pire que chez moi. »

Et d’ajouter : « Mon fils prendra une douche en rentrant et voilà. » L’espace aménagé par la ville comprend d’ailleurs plusieurs douches, ainsi que des toilettes, des points d’eau, des vestiaires, des casiers, et des transats, « trop peu nombreux », selon certains.

Files d’attente

Sous des chaleurs écrasantes, Parisiens et touristes semblent avoir fait leur choix sans hésiter, d’autant que l’accès à cette zone de baignade est gratuit. « Tous les enfants parisiens qui ne peuvent pas partir en vacances, ou qui partiront plus tard, pourront désormais se baigner en eau libre pour la première fois dans la capitale », a fait valoir Anne Hidalgo, lors du discours d’inauguration de ce projet, qui va coûter un million d’euros à la Mairie de Paris pour cet été.

Seule contrainte imposée par la ville pour des raisons de sécurité et de salubrité : ne pas dépasser les chiffres de 300 baigneurs dans les trois bassins, 470 personnes en même temps sur le site, et 1 000 individus par jour. A 14 heures, la structure, ouverte depuis 11 heures du matin, dépassait déjà les mille visites. Et continuait à laisser entrer les visiteurs.

« Il y aura sans doute des ajustements à faire pour augmenter les capacités d’accueil sur une journée », estime Stéphane Gautherot, employé au service de réseau des piscines parisiennes. La veille, les personnes n’ayant pas pu accéder au bassin ont plongé dans le canal juste à côté de la zone de baignade. « Sauf que cette zone-là n’est pas surveillée, donc il va falloir prendre des mesures, renforcer les contrôles », estime le membre de la direction générale des services à la Mairie de Paris, qui rappelle que des effectifs de police sont mobilisés spécifiquement pour contrôler la zone, délimitée par des portiques de sécurité.

Devant ces portiques, une longue file de personnes s’étirait le long du canal, mardi après-midi, faisant dire à certains que des lieux comme celui-ci devraient être plus nombreux. Comme Annick, 74 ans, venue avec ses deux petits-enfants, Maxime et Manon, âgés de 14 ans et 11 ans, qui « étouffaient dans le petit studio du 1er arrondissement » qu’elle occupe pendant les vacances.

« J’espère que dans quelques années, on pourra le faire dans d’autres endroits, dans la Seine qui sait ? »

Anne Hidalgo table justement sur 2024 pour y parvenir, au moment des Jeux olympiques que Paris souhaite organiser. Avant cela, il y aura l’ouverture au public du lac Daumesnil au bois de Vincennes d’ici à 2019.