Les premiers états généraux de l’alimentation, inaugurés jeudi 20 juillet à Paris, ont une mission ambitieuse : réconcilier une filière agricole divisée. | HARALD SCHNEIDER / AFP

Les états généraux de l’alimentation, lancés jeudi 20 juillet à Paris, ont un objectif : tenter de réconcilier une filière agricole divisée et confrontée à une grave crise. Producteurs, industriels, distributeurs, associations de consommateurs et ONG environnementales se fixent jusqu’à novembre pour dégager des solutions concrètes.

Permettre aux agriculteurs de vivre dignement, freiner la guerre des prix dans la distribution et répondre aux nouvelles attentes des consommateurs à la recherche de qualité seront au menu de ces discussions promises par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle.

Comment y parvenir ? Le Monde a posé la question aux principaux acteurs de la filière : Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution ; Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), premier syndicat agricole ; Catherine Chapalain, directrice générale de l’Association nationale des industries alimentaires.

Qu’attendez-vous de ces états généraux ?

Jacques Creyssel : Ils sont une chance pour la filière. Il faut s’occuper du sujet du moment, le revenu des agriculteurs. Comment faire pour qu’ils se portent mieux ? Pour cela, il faut mettre les sujets sur la table, sans tabou. A commencer par la réorientation de la Politique agricole commune (PAC). Elle est devenue trop libérale et ne permet pas d’aider suffisamment les agriculteurs en cas de crise conjoncturelle. Pour qu’ils puissent faire face aux accidents conjoncturels, qui existeront toujours, il faut leur donner la possibilité d’avoir accès à des mécanismes pour se protéger, comme des assurances.

Il faut aller de la fourchette à la fourche et pas le contraire

La deuxième priorité est de partir du besoin des consommateurs : ils veulent du bio, sans gluten et des produits locaux. La production agricole française ne correspond pas toujours à ces besoins. Le porc bio, par exemple, est payé 3,50 euros le kg contre 1,60 euro en conventionnel et, pourtant, on importe 80 % du porc bio. On importe aussi la totalité des pêches plates, on ne fait pas de raisin sans pépin. Il faut aller de la fourchette à la fourche, et pas le contraire.

Il faut aussi faire en sorte que les industriels tiennent compte des coûts de production, ce qui n’est pas suffisamment le cas. En même temps, ils ne doivent pas être déconnectés des marchés mondiaux. Pour permettre aux agriculteurs de vivre dignement, il faut aussi qu’ils puissent se regrouper pour négocier avec les distributeurs. C’est le cas pour le lait mais pas pour les fruits et légumes.

Enfin, on a la chance en France d’avoir des PME agroalimentaires positionnées sur tous les marchés en croissance. Mais notre droit commercial est le plus instable au monde, pas moins de six lois ont été votées en treize ans. Il faut simplifier, clarifier les règles.

Christiane Lambert : Ces états généraux étaient une promesse du candidat Macron et c’est bien qu’ils arrivent vite. Le premier objectif est de poser la question du prix. Depuis deux ans, l’agriculture française enchaîne les crises graves, et les prix payés sont inférieurs aux coûts de production. Les industriels ne payent pas suffisamment les producteurs dont les revenus se sont dégradés. La moitié vit avec moins de 350 euros par mois, ça ne peut plus durer.

Pour améliorer leurs revenus, il faut mettre autour de la table producteurs, industriels, distributeurs et consommateurs. Il faut, par exemple, un encadrement des promotions pour en éviter un usage abusif. Quand des côtes de porc sont proposées à 1,90 euro le kg et la semaine d’après à 6 euros en rayon, le consommateur ne comprend pas. Il faut en finir avec le dogme du prix bas qui est imposé par les distributeurs et tue les paysans.

La plupart des distributeurs reconnaissent que l’on va dans le mur si rien ne change

Catherine Chapalain : Nous sommes dans un état d’esprit constructif et très déterminé pour redonner de la valeur à notre alimentation et renforcer la confiance des consommateurs. Il y a une urgence sur le plan économique. L’ensemble de la filière (agriculture, agroalimentaire, distribution) représente 2,5 millions d’emplois et 650 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Notre potentiel à l’exportation est important. Mais, aujourd’hui, seules deux entreprises françaises sur huit exportent. En Allemagne, c’est huit sur dix.

En même temps, le secteur traverse une crise sans précédent avec un vrai décrochage de la compétitivité. La guerre des prix a également détruit de la valeur. La plupart des distributeurs reconnaissent que l’on va dans le mur si rien ne change. Il faut changer d’état d’esprit et encadrer les promotions, qui font perdre la notion du prix juste aux consommateurs.

Depuis 1960, le nombre d’exploitations agricoles n’a cessé de diminuer. Que faut-il faire pour y remédier ?

Christiane Lambert : Pour freiner la disparition des exploitations, il faut arrêter de bétonner le foncier mais il faut aussi que les agriculteurs aient des revenus. C’est de la responsabilité des consommateurs et des distributeurs. Le maintien du pouvoir d’achat des consommateurs s’est fait au détriment des agriculteurs. Les consommateurs veulent des produits plus locaux, plus bio, mais plus c’est vert, plus c’est cher. Il faut payer le prix pour maintenir une agriculture en France.

Ce n’est pas faux de dire que les agriculteurs doivent répondre aux besoins des consommateurs, mais les pêches plates, ce n’est pas ce qu’on mange le plus. Prenez les abricots et les melons, beaucoup viennent d’Espagne parce que c’est moins cher. Quant au porc conventionnel, 80 % est importé.

Catherine Chapalain : Il faut avant tout mieux répondre aux attentes des consommateurs et maintenir une diversité de l’agriculture. Il faut, par exemple, dynamiser le bio, filière dans laquelle nous ne sommes pas autosuffisants. Les 17 000 entreprises de l’agroalimentaire sont aussi une richesse à maintenir.

Quel modèle agricole défendez-vous ?

Jacques Creyssel : Ce n’est pas notre rôle de le définir mais je pense qu’il n’y a pas de modèle unique. Il faut réfléchir filière par filière, produit par produit. Certains produits haut de gamme doivent être fabriqués dans de petites exploitations, les produits plus standardisés dans des exploitations plus grandes pour des coûts plus compétitifs.

Dans la filière laitière, la stratégie ne peut pas être la même si l’on produit de la poudre de lait, du camembert, du comté ou du lait à la consommation. Il faut faire en sorte que notre agriculture soit la plus efficace, performante et compétitive possible.

L’agriculture française est diversifiée et c’est une chance

Christiane Lambert : Tous les modèles. L’agriculture française est diversifiée et c’est une chance. Le bio représente 5 %, les labels de type AOC, AOP, 25 %. Le reste, c’est de l’agriculture plus classique. Mais les prix bas risquent de tuer cette diversité.

Catherine Chapalain : On défend une filière compétitive. La France doit redevenir le premier exportateur mondial – aujourd’hui, nous sommes quatrièmes. Mais pour exporter, il faut d’abord être rentable dans son propre pays car il est nécessaire d’avoir une marge pour investir et innover. Pour jouer à armes égales avec les autres pays européens, il faut une harmonisation des règles fiscales et sociales. Les contraintes imposées en matière de qualité de l’environnement doivent aussi être les mêmes pour tous, sinon on part avec des semelles de plomb.