Harry Styles, Aneurin Barnard et Fionn Whitehead dans une scène de « Dunkerque », film de Christopher Nolan. | WARNER BROS PICTURES VIA AP

LES CHOIX DE LA MATINALE

Au programme cette semaine : le très attendu Dunkerque de Christopher Nolan ; Eté 93, premier long-métrage d’une catalane prometteuse ; Baby Driver, un film à la légèreté taillée pour l’été et Out of the present, un documentaire allemand vertigineux.

DÉLUGE DE BOMBES HORS-SOL : « Dunkerque », de Christopher Nolan

Dunkerque - Bande Annonce Officielle (VOST) - Christopher Nolan

Memento, Batman, Inception, Interstellar : on ne rappellera pas ici qui est Christopher Nolan. Un faiseur de succès planétaires comme Hollywood les affectionne. Et un curieux mélange de lourdeur et de sophistication formelle. C’est peu dire qu’on l’attendait sur Dunkerque.

L’originalité de la bataille de Dunkerque, aujourd’hui oubliée, est d’être une débâcle qui porte en germe une future victoire. En mai 1940, la bataille de France tourne rapidement à la déconfiture pour les Alliés. Encerclés après la percée allemande de Sedan, 400 000 soldats sont pris au piège dans la poche de Dunkerque. Du 26 mai au 4 juin, 300 000 parviendront, sous un déluge de bombes et de feu, à embarquer in extremis dans une myriade d’embarcations militaires mais plus encore dans celles réquisitionnées aux civils, pour gagner l’Angleterre et y poursuivre la guerre contre le Troisième Reich.

C’est au cœur de cette opération, nommée « Dynamo », que nous entraîne le film de Christopher Nolan. Dunkerque, plutôt qu’un film de guerre classique, est un film de survie (« survival »). Son poussé au maximum, impacts des bombes, balles sifflant aux oreilles des spectateurs, format plus grand et plus vibrant que nature, couleurs sombres et paysages d’apocalypse, etc.

Nolan joue, en virtuose, de cette approche immersive. Le problème est qu’il manque à honorer les obligations du contexte dans lequel il s’est plu à plonger le sien. La bataille de Dunkerque est ici une histoire purement anglaise. Où sont les 120 000 soldats français également évacués ? Où sont les 40 000 autres qui se sont sacrifiés pour défendre la ville face à un ennemi supérieur en armes et en nombre ? Où sont les membres de la première armée qui, abandonnés par leurs alliés qui estiment la partie perdue, empêchent néanmoins, à Lille, plusieurs divisions de la Wehrmacht de déferler sur Dunkerque ? Jacques Mandelbaum

« Dunkerque », film américain de Christopher Nolan. Avec Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance, Kenneth Brannagh. (1 h 47)

DANS LA LUMIÈRE D’ÉTÉ : « Eté 93 », de Carla Simon

Été 93 - La Bande Annonce VOST FR

Été 93, le premier long-métrage de la catalane Carla Simón, peut se présenter comme la chronique estivale d’une petite fille de six ans dont la mère est morte des suites du SIDA. Ce serait pourtant passer à côté du film que de le réduire à un sujet aussi écrasant.

Son véritable sujet, beaucoup plus secret, se situe ailleurs, dans les interstices du film, et ne se précise que dans la durée, bien qu’un indice nous soit donné dès la première scène, lorsque l’on découvre la petite Frida jouant avec d’autres gamins dans une rue de Barcelone. L’un d’eux lui lance : « Pourquoi tu ne pleures pas ? » Question apparemment anodine qui finira par trouver un écho bouleversant à l’autre extrémité du film.

En se rangeant du côté de l’enfant, la mise en scène adopte son point de vue parcellaire et incomplet sur les événements. Nous ne devinons que par bribes qu’elle a perdu ses parents. Carences du récit qui renvoient au non-dit que les adultes font peser sur l’enfant, à ce qu’ils lui taisent en pensant l’épargner. Le récit se cale ensuite sur l’écoulement ordinaire des vacances d’été. Le temps passé à jouer dehors, les baignades, les repas en famille, les visites des grands-parents, les fêtes de village, les bals populaires.

Le film se vit comme une célébration du moment présent et des impressions qu’il délivre, et comme le flottement d’une douleur suspendue qui tarde à s’affirmer. Il décrit surtout l’apprivoisement mutuel entre les membres d’un foyer recomposé par la force des choses. A terme, Été 93 s’avère un beau film sur les puissances de refoulement. Mathieu Macheret

« Eté 93 », film espagnol de Carla Simón. Avec Laia Artigas, Paula Robles, Bruna Cusí, David Verdaguer (1 h 34).

TUBE DE L’ÉTÉ : « Baby Driver », d’Edgar Wright

Baby Driver - Première bande-annonce - VOST

Comme il y a des tubes de l’été, il y a des films dont la légèreté parait calibrée pour la belle saison. Avec le cocktail vieux comme le cinéma qu’il propose, tonique dosage de course-poursuite, de sentiments violents, de jeunes et jolis acteurs frais émoulus de leurs premiers pop-corn movies, soutenus par quelques stars au pedigree solide, Baby Driver est de ceux-là.

Et sa bande originale savoureuse, modelée dans un bel éclectisme pop, ne nuit pas à l’affaire. Argument premier du film, la musique est ce qui protège le jeune Baby de la violence du monde, tout en exprimant ses états d’âme. Conducteur surdoué acoquiné malgré lui avec un parrain de la mafia qui l’emploie pour des braquages de haut vol, il ne quitte jamais ses écouteurs.

Avec ce visage poupin que dissimulent mal ses lunettes d’aviateur, ses attitudes sexy et un peu hésitantes encore, d’ado pas tout à fait sorti de l’enfance, Baby est un gamin. Mais un gamin surdoué, déjà arrivé au stade du vieux gangster qui s’apprête à raccrocher les gants une fois accompli son dernier tour de piste, un dernier braquage pour rembourser la dette qui le lie à son patron.

Après quoi il compte bien se ranger des voitures. Et, pourquoi pas, convoler avec la jolie serveuse du diner où il a ses habitudes (charmante Lily James), qui partage son amour de la route et de la musique pop. Isabelle Regnier

« Baby Driver », film américain de Edgar Wright. Avec Ansel Elgort, Lily James, Kevin Spacey, Jon Hamm, Jamie Foxx. (1 h 53)

UN COSMONAUTE FACE AUX RÉVOLUTIONS TERRIENNES : « Out of the present », d’Andrej Ujica

Out of the Present (1995) raconte l’histoire incroyable, mais pourtant bien réelle, du cosmonaute Sergeï Krikalev, parti de l’Union soviétique en mai 1991 pour rejoindre la station Mir, et revenu au terme d’une mission de dix mois, en mars 1992, dans un pays qui s’appelle désormais la Russie. Une idée, un régime, un bloc, un monde se sont écroulés sous ses pieds, alors qu’il flottait en orbite à quelques centaines de kilomètres au-dessus de la Terre.

Bien qu’un tel récit éveille d’office un imaginaire de fiction, le film d’Andrej Ujica, qui ressort en version restaurée, se présente sous la forme encore plus vertigineuse d’un montage d’archives, issu d’un fonds de 280 heures d’images tournées par l’équipage de la mission spatiale Ozon. Posant un regard radicalement décentré sur la chute du régime communiste, il s’avère passionnant à plus d’un titre.

Tout d’abord par la narration formidable qu’Ujica parvient à creuser au cœur des archives. Ensuite, par ces images surréalistes de situations d’apesanteur, de danse des globes planétaires, de vide intersidéral. Enfin, et surtout, par ce rapport d’échelles incommensurable entre la position des hommes en orbite, et ce monde d’en bas, agité des spasmes imperceptibles qu’on appelle « bouleversements » de l’histoire.

Entre une révolution autour de la Terre et une révolution sur terre, quelle commune mesure ? Andrej Ujica ne fait peut-être rien d’autre ici que vérifier par le montage la théorie d’Einstein à l’aune de l’expérience humaine : sur Terre ou dans l’espace, le temps historique ne se déroule pas de la même façon. Eprouver ainsi le vertige qui s’ouvre au-devant de Sergeï Krikalev est certainement l’une des expériences cinématographiques les plus sidérantes qui soient. Ma. Mt

« Out of the present », documentaire allemand d’Andrej Ujica (1 h 36). www.facebook.com/cameliafilms/