Le général Pierre de Villiers, chef d’Etat-major des armées, a démissionné, mercredi 19 juillet. Les critiques qu’il avait exprimées sur les coupes décidées par Bercy dans l’armée lui avait valu un recadrage public du président de la République. Il est remplacé par François Lecointre.

Nathalie Guibert, journaliste qui suit le secteur de la défense, a répondu à vos questions.

-Nico : Quel est le rôle du chef d’état-major des armées ?

Nathalie Guibert : Le chef d’Etat-major des armées (CEMA) est le conseiller militaire du gouvernement et il est responsable de la préparation et de l’emploi opérationnel des forces armées. Depuis un décret de 2013, il « assiste » le ministre de la défense, et, sous l’autorité du président de la République, « il assure le commandement des opérations militaires ». Ses fonctions, telles qu’elles existent aujourd’hui avec l’autorité sur les trois armées (air, terre, marine) ont été définies par De Gaulle en juillet 1962.

-Bouzink : Connaît-on le successeur ? Des noms ont-ils fuité ? Y a-t-il déjà eu une femme à ce poste ?

Nathalie Guibert : C’est le général François Lecointre, chef du cabinet militaire du premier ministre, qui le remplace. Et non, il n’y a jamais eu de femme au poste de CEMA. Il n’y a qu’une vingtaine d’officiers généraux féminins dans l’armée française. Les trois quarts d’entre elles sont dans la direction générale de l’armement et le service de santé des armées.

-Didop : Quel était le budget de la défense en 2015 et en 2016 ? De quel montant sera-t-il en 2017 ? Quels sont les engagements budgétaires pris par le candidat Macron pour son quinquennat ? Et par rapport au PIB, cela donne quoi ?

Nathalie Guibert : En 2017, le budget de la défense, tel qu’il a été voté, s’élève à 32,7 milliards d’euros (soit 1,78 % du PIB), en augmentation de 600 millions par rapport à 2016. Macron a promis 34,2 milliards pour 2018 et s’est engagé à atteindre 50 milliards d’euros en 2025. Cependant, la défense est confrontée à d’importants gels de crédits et le ministère est très endetté, donc ses objectifs ne sont pas absolument garantis pour l’heure. Le gouvernement a annoncé près d’un milliard d’euros de coupes immédiates dans le budget 2017 et Bercy a gelé 2,7 milliards de crédits.

-Nicothms : Pourrait-on craindre un mouvement d’opposition ou une réaction au sein de l’armée suite à cette démission ?

Nathalie Guibert : La réponse est clairement non quant à une éventuelle opposition. L’armée est extrêmement loyaliste et républicaine. En revanche, la démission de Pierre de Villiers provoque de très nombreuses réactions car il était, depuis trois ans et demi, un chef d’état-major très estimé.

-dr : Lorsque l’on dit de l’armée qu’elle est « la grande muette », que cela signifie-t-il concrètement ?

Nathalie Guibert : Cela signifie que l’armée obéit au pouvoir politique et se tient à une certaine réserve sur les sujets politiques. Cependant, non seulement il est du devoir du CEMA d’exprimer les besoins en hommes et en matériel de ses forces, mais il doit aussi délivrer une information sincère au pouvoir législatif. Le 12 juillet, Pierre de Villiers s’est exprimé à huis clos devant la commission de la défense. Ses propos ont fait l’objet d’une fuite.

-Simon DM : Quelles ont été les motivations de notre président pour des coupes budgétaires dans l’armée plutôt qu’ailleurs ? Les partis d’opposition sont-ils en net désaccord avec Macron à ce niveau ?

Nathalie Guibert : La communication gouvernementale dit que tous les ministères doivent faire des efforts. Mais le candidat Macron avait pris des engagements pour consolider les décisions prises par son prédécesseur, en 2016, après les attentats terroristes : nouveaux recrutements et équipements supplémentaires pour les armées afin d’assurer les opérations en cours. Les mesures de François Hollande qui coûteront 3 milliards d’euros sur 2017, 2018 et 2019 ne sont donc pas financées.

-Phil16 : En quoi le général Lecointre est-il davantage « Macroncompatible » ? Existe-t-il des sensibilités affichées au sein de l’armée ?

Nathalie Guibert : Par définition, il est « macroncompatible » puisque c’est le président de la République qui le choisit. Cela dit, il se battra aussi pour que les armées aient les moyens de remplir leurs missions, car cela relève de sa responsabilité légale. Le général François Lecointre, 54 ans, était chef du cabinet militaire du premier ministre depuis 2016. Issu des troupes de marine, il a notamment servi au Rwanda pendant l’opération « Turquoise » puis en ex-Yougoslavie durant la guerre (1991-2001).

-Franck : L’armée française est-elle insuffisamment financée ? Comment se situe-t-elle par rapport à celles d’autres pays, comme l’Allemagne et le Royaume Uni ?

Nathalie Guibert : La question est relative. Elle dépend du niveau d’ambitions que se fixent les pays sur la scène internationale. La France est une puissance nucléaire (à la différence de l’Allemagne) et une puissance militaire expéditionnaire qui mène des opérations partout dans le monde (Sahel, Irak, Syrie, défense de l’Outre-mer et des zones économiques exclusives maritimes). Compte tenu de ces ambitions, les armées sont sous-financées. De Villiers disait qu’elles étaient engagées à 130 % de leurs ressources.

-Pragma : Le CEMA poussé à la démission et le poste de délégué général pour l’armement vacant, doit-on s’attendre à une mise au pas des grands subordonnés du ministre des armées, lesquels ne pourraient plus exprimer leur point de vue à des parlementaires ?

Nathalie Guibert : Avec un président « jupitérien », qui ne cesse de répéter « c’est moi le chef », on peut effectivement s’attendre à ce que la hiérarchie militaire soit encore plus prudente dans la façon dont elle s’exprime. Des parlementaires s’inquiètent des risques de « caporalisation » du pouvoir législatif par l’exécutif.