Un nouveau service pour les abonnés Prime d’Amazon leur permettra d’essayer avant d’acheter. | Mike Segar/Reuters

Les abonnés Prime d’Amazon peuvent désormais « essayer avant d’acheter ». Après s’être offert la chaîne de supermarchés bio Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars, le numéro deux mondial de la distribution a inauguré le 20 juin ce nouveau service baptisé Prime Wardrobe, dans le cadre d’un effort plus large pour valoriser Amazon Prime et augmenter l’activité mode de la plateforme. Le client pourra choisir et recevoir jusqu’à 15 articles et ne payer que ceux qu’il décide de garder. Plus il gardera d’articles, moins il paiera cher. Le programme « sonne le glas des grands magasins », estime Ike Boruchow, un analyste chez Wells Fargo. De fait, la valeur boursière de grands magasins américains comme Macy’s et Nordstrom a chuté peu après l’annonce.

Un marché crucial pour Jeff Bezos

« Le logiciel va manger le monde », écrivait Marc Andreessen, l’un des entrepreneurs et « capital-risqueurs » les plus respectés de la Silicon Valley, dans un essai prophétique de 2011. « Nous vivons une mutation spectaculaire qui va voir les géants de la technologie s’accaparer de vastes secteurs de l’économie. Du cinéma à l’agriculture en passant par la défense nationale, de plus en plus d’industries tournent sur des plateformes de développement. »

Il n’y a sans doute pas meilleur exemple que l’ascension d’Amazon. Au moment où le géant du commerce électronique part en guerre contre la multinationale de la grande distribution Walmart, comme pour confirmer que Jeff Bezos considère que la mode et son marché mondial sont de la plus haute importance pour sa réussite. Le programme Prime Wardrobe n’est qu’un élément parmi d’autres de la stratégie d’Amazon pour bousculer l’industrie de la mode.

« Amazon sait en temps réel ce qui se vend et ce qui ne se vend pas et peut alors rapidement identifier les positions à prendre sur le marché. » Robin Lewis, consultant

Amazon a des vues sur le secteur depuis des années. Certes, ses achats publicitaires dans les magazines de mode et sponsorings prestigieux de fashion weeks et autres galas du Met (le Met Ball organisé au Metropolitan Museum of Art Costume Institute par la papesse de la mode Anna Wintour) n’ont pas dissipé l’impression que les transactions y sont trop impersonnelles et les prix trop cassés pour convenir aux produits de luxe. En revanche, un nombre croissant de marques de prêt-à-porter de masse se vendent sur la plateforme. Signe qu’elle devient incontournable, le leader mondial des équipementiers sportifs, Nike, vient de céder à ses avances, signant un partenariat qui pourrait générer 300 à 500 millions de dollars annuels de chiffre d’affaires sur le site.

Amazon a des atouts déterminants par rapport à ses concurrents. D’une part, l’entreprise a créé des liens solides avec ses clients grâce à un large catalogue de produits, ce qui la rend beaucoup moins vulnérable aux tendances capricieuses qui font de la mode un commerce à haut risque. Par ailleurs, elle possède une incomparable banque de données grâce aux 285 millions de comptes actifs de ses clients.

Nike vient de signer pour la première fois un partenariat avec Amazon. | Mary Altaffer/AP

L’entreprise met déjà ces données au service de ses sous-marques de prêt-à-porter. Selon le consultant Robin Lewis, « Amazon est en mesure d’analyser les milliards de transactions effectuées en ligne. Ils savent en temps réel ce qui se vend et ce qui ne se vend pas et peuvent alors rapidement identifier les positions à prendre sur le marché ».

Le site séduit les enfants du XXIsiècle

Pour l’instant, Amazon vise principalement la partie inférieure du marché avec des vêtements plutôt basiques. Mais, à l’instar des nouveaux acteurs de la « fast fashion » qui ont grignoté une large part des revenus du luxe, le site marchand va sûrement s’efforcer de développer son offre pour progressivement s’élever en gamme et proposer une interface plus intuitive et plus esthétique le temps venu.

De plus, le site a la cote chez les enfants du millénaire, une génération vouée à devenir la plus dépensière de l’histoire, et que les marques traditionnelles ont du mal à conquérir. Amazon est déjà l’habilleur en ligne le plus populaire chez les Américains de 18 à 34 ans, captant près de 17 % de leurs dépenses de vêtements sur Internet – soit plus du double de Nordstrom, qui arrive deuxième, selon le blog spécialisé Slice Intelligence.

« Nous pensons que l’activité d’Amazon ne correspond pas à LVMH et à nos marques, point à la ligne. Il est hors de question de faire affaire avec eux pour le moment. » Jean-Jacques Guiony, dir. financier de LVMH

Enfin, Amazon est en train de bâtir une énorme infrastructure logistique – englobant tout, du fret au stockage en passant par la livraison – qui pourrait attirer des start-ups de mode innovantes dans son giron. Appelée « chaîne d’approvisionnement mondiale », la nouvelle plateforme pourrait considérablement réduire les obstacles des jeunes entreprises, leur permettant de déléguer à Amazon l’approvisionnement et la distribution pour se concentrer sur leurs points forts : le design et le marketing.

Certes, la toute-puissance d’Amazon ne s’étend pas jusqu’en Chine, le deuxième marché mondial du luxe. Sa pénétration y est encore si faible que l’enseigne est hébergée par la plateforme d’e-commerce Tmall d’Alibaba, le numéro un chinois du commerce électronique, aussi enraciné en Asie qu’Amazon l’est en Occident.

Et si l’offre de mode d’Amazon a toutes les chances de monter en gamme, ce n’est pas pour autant dans un avenir proche que le site inspirera confiance aux marques de luxe. L’année dernière, le directeur financier de LVMH, Jean-Jacques Guiony, a rendu un verdict sans appel lors d’une conférence téléphonique avec des investisseurs : « Nous pensons que l’activité d’Amazon ne correspond pas à LVMH et à nos marques, point à la ligne. Il est hors de question de faire affaire avec eux pour le moment. »

Pendant ce temps, Farfetch – une plateforme qui connecte les internautes à un réseau de boutiques sélectionnées, et dont la crédibilité est forte dans le secteur de la mode – vient de passer un accord avec Joybuy, numéro deux du commerce électronique chinois et grand rival d’Alibaba, pour booster ses ventes en Chine. A mesure que Farfetch grandira, peut-être que la concurrence la plus féroce ne viendra plus des sites de mode comme Yoox ou Net-a-Porter mais du plus gros e-marchand de vêtements du monde : Amazon.

Par l’équipe de Business of Fashion

Traduction Emma Fisherman

Retrouvez l’article original (en anglais) sur : www.businessoffashion.com