Imaginez que vous êtes un petit robot japonais appelé Miyubi. Vous atterrissez un jour dans le salon surchargé d’une famille de la classe moyenne américaine des années 1980, entre un adolescent rebelle, un père absent, une mère débordée, un grand-père qui perd la boule et un petit garçon gâté dont vous êtes le cadeau d’anniversaire. Le film Miyubi, un peu sur le modèle de Toy Story, confronte le jouet à la lassitude des enfants et au temps qui passe inexorablement. Sauf que c’est vous, ici, qui risquez bien de finir à la poubelle...

Le film Miyubi, des Canadiens Felix Lajeunesse and Paul Raphaël, développé par les studios Felix & Paul, est le gagnant du Grand Prix du festival de réalité virtuelle organisé aux Rencontres de la photographie d’Arles. Un festival dans le festival, qui pour sa deuxième édition, a étoffé son offre (une vingtaine de films à découvrir) et surtout prolongé sa durée : les visiteurs ont désormais tout l’été, jusqu’au 31 août, et non plus une semaine pour tenter l’expérience. Dans deux pièces plongées dans la pénombre, des silhouettes coiffées de casques et juchées sur des chaises pivotantes, se balancent, sursautent ou restent immobiles, immergées dans un film en 3D. Pour les rejoindre, il suffit de s’inscrire sur une liste et d’attendre son tour sur une chaise longue, sous les arbres.

Un ballet classique créé pour la 3D

Cette année, les films présentés ont également fait un saut qualitatif, aussi bien du point de vue de l’animation en 3D que de la narration. « La première édition a un peu essuyé les plâtres. Cette année, nous sommes allés dans le monde entier démarcher des réalisateurs, regarder des films dans les festivals, pour sélectionner les films plus intéressants », explique Emma Deshayes, assistante de production sur le festival. Classés en quatre catégories parfois un peu arbitraires (films interactifs et long format, créations artistiques, documentaires, fictions), les œuvres témoignent en fait des différents univers qui s’entrecroisent dans le monde de la réalité virtuelle : le jeu vidéo, le cinéma, les arts plastiques, le graphisme, la scène. La scène ? « Nombre de films cherchent à prolonger l’expérience qu’un spectateur peut vivre en allant voir un spectacle, en lui permettant d’être au cœur même de l’action », poursuit Emma Deshayes. Il en va ainsi dans Night Fall, de Jip Samhoud (Dutch national Ballet), où un ballet classique a été spécifiquement créé pour la caméra 3D, les danseurs évoluant autour d’elle.

Dans cette nouvelle frontière qu’est la réalité virtuelle, les réalisateurs tentent d’adapter leur narration à la liberté du spectateur, qui peut choisir de délaisser l’action pour regarder le paysage. Côté documentaire, les films proposés jouent donc de l’immersion, en transportant le spectateur dans des endroits a priori inaccessibles ou interdits, et en le laissant découvrir en grande partie par lui-même son environnement, sans qu’il se passe toujours quelque chose à chaque instant.

Une image extraite du film de réalité virtuelle « Exodus ». | Deep VR

Exodus, de Ulrico Grech-Cumbo (Deep VR), transporte au cœur d’un troupeau de gnous qui fait sa migration, tandis que We Who Remain, de Sam Wolson et Trevor Snapp (New York Times), plonge dans la guerre du Sud-Soudan. Dans la fiction, une partie de l’initiative est aussi parfois laissée au spectateur, comme dans Alteration, de Jérôme Blanquet (Okio Studio / Arte) : dans ce film de science fiction, c’est le mouvement de la tête qui permet de dévoiler, ou pas, le décor futuriste jusqu’alors plongé dans le noir.

Cette année, le festival a voulu intégrer des films d’animation, dont certains sont clairement destinés aux enfants : Asteroids du réalisateur de Madagascar Eric Darnell (Baobab Studios) suit un duo d’aliens dans l’espace, et mêle les principes du jeu vidéo à la narration pour impliquer le spectateur dans l’histoire. Dear Angelica, de Saschka Unseld (Oculus Story Studio), est lui plutôt réservé aux adultes. Il impressionne moins par son esthétique, aux couleurs criardes, que par son animation qui crée un univers changeant, entièrement dessiné à la main. Dans ce rêve éveillé où une enfant évoque sa mère, actrice disparue, à travers des scènes tirées de ses films, c’est le décor qui en se modifiant joue le rôle de la narration : on peut non seulement regarder partout, mais aussi se rapprocher des personnages et des traits dessinés dans l’espace.

Une image extraite de « Dear Angelica ». | Oculus Story Studio

Le jury, dirigé par Michel Hazanavicius, était lui en majorité issu du monde du cinéma, et a décerné son prix doté de 10000 euros à un film qui plonge clairement dans cet univers : par sa longueur (avec ses 40 minutes, il est la plus longue fiction de VR jamais produite), par ses références, qui rappellent Toy Story (même si la joliesse et le soin porté aux décors années 1980 peut évoquer la série Mad Men). Pour autant, Miyubi est bien un film de réalité virtuelle, où le spectateur est partie prenante de l’histoire. Non seulement on s’identifie complètement au robot, qui bouge la tête en même temps que vous dans le miroir, et voit sa batterie se décharger en temps réel, mais on est aussi dans un jeu vidéo : on comprend vite qu’il y a des objets cachés dans le décor, qu’il faut découvrir pour gagner... on ne vous dira pas quoi.

VR Arles festival, jusqu’au 31 août. Espace Saint-Césaire, 10 impasse de Mourgues, Arles. De 10 h à 19h30, inscription sur place. 8 euros (entrée également incluse dans le forfait toutes expositions). www.rencontres-arles.com