Le président vénézuélien Nicolas Maduro et son homologue cubain Raul Castro, le 10 avril à La Havane. | YAMIL LAGE / AFP

Le président colombien, Juan Manuel Santos, a fait un déplacement à La Havane, avec une délégation d’hommes d’affaires. Le motif officiel du voyage était la relance des échanges entre les deux pays. Lundi 17 juillet, M. Santos a eu un entretien avec son homologue cubain, Raul Castro. « Lorsque deux présidents de la région se rencontrent, ils peuvent difficilement ne pas parler du Venezuela », a déclaré la ministre colombienne des relations extérieures, Maria Angela Holguin. Surtout lorsque, la veille, 7,5 millions de Vénézuéliens ont participé au référendum organisé par l’opposition contre le président Nicolas Maduro.

Après sa réunion avec M. Castro, le président colombien a demandé à Caracas de renoncer à l’Assemblée constituante convoquée par M. Maduro : « Le monde entier le demande », a écrit M. Santos sur son compte Twitter. Selon lui, c’est la condition « pour qu’il y ait une solution négociée au Venezuela ». La Colombie, mais aussi le Mexique, l’Argentine et d’autres Etats de la région, voudraient que Cuba assume le rôle de médiateur ou de facilitateur en vue d’une issue négociée de la crise vénézuélienne.

Les Colombiens sont les premiers à souffrir l’impact de la crise économique, sociale et humanitaire au Venezuela. La frontière poreuse entre les deux nations a déjà été franchie par près d’un million de réfugiés, selon une étude de l’université Simon-Bolivar, à Caracas. Alors que le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en sont à leurs débuts, Bogota craint d’être débordé avant une année électorale 2018 pour le moins incertaine.

Tractations

Les présidents Santos et Castro s’étaient retrouvés auparavant justement grâce à la négociation de paix avec les FARC, qui s’est déroulée à La Havane. L’engagement des Cubains dans ces tractations avec la guérilla a été salué de manière unanime et a sans doute contribué au rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Cuba serait-elle prête à rejouer les intermédiaires, cette fois auprès de Caracas, pour amener à la table des négociations le gouvernement et l’opposition au Venezuela ?

Depuis trois mois et demi, les manifestations de rue et les affrontements se succèdent à Caracas et en province contre le successeur de l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013). Depuis début avril, on déplore une centaine de morts. Chaque partie invoque sa propre légitimité, dans un conflit où les arguties juridiques alternent avec les rapports de force. L’exécutif contrôle tous les ressorts du pouvoir, sauf le Parlement, où les opposants sont majoritaires.

Jusqu’à présent, la médiation du Vatican, de l’Espagne ou d’anciens présidents latino-américains n’a donné aucun résultat. M. Maduro répugne à faire la moindre concession. Ainsi, son gouvernement relâche l’opposant Leopoldo Lopez le 8 juillet, après trois ans et demi dans une prison militaire, et le place en résidence surveillée, mais en même temps, les autorités multiplient par quatre le nombre de prisonniers politiques (plus de 440) et défèrent des civils devant des tribunaux militaires.

La convocation, par M. Maduro, d’une Assemblée constituante, le 30 juillet, et l’organisation du référendum du 16 juillet par les opposants, ont accéléré la confrontation. Le chef de l’Etat ignore l’avis exprimé par la majorité des Vénézuéliens et maintient sa Constituante, rejetée y compris par une partie des chavistes, comme la procureure générale de la République, Luisa Ortega, ou l’ancien ministre de l’intérieur, le général de réserve Miguel Rodriguez Torres. De son côté, l’opposition appelait à une grève générale de vingt-quatre heures, jeudi 20 juillet. Le Parlement veut nommer des juges de la Cour suprême et former un « gouvernement d’unité nationale ».

Escalade

Face à l’escalade, les diplomates sont engagés dans une course contre la montre pour éviter un affrontement sanglant. « La négociation n’a jamais paru aussi nécessaire au Venezuela », estime Carlos Malamud, analyste de l’Institut royal Elcano, à Madrid. Le 30 juillet, date d’élection de l’Assemblée constituante, tout peut basculer. « Le temps presse », renchérit le lieutenant-colonel de réserve Francisco Arias Cardenas, gouverneur chaviste de l’Etat pétrolier de Zulia.

Selon l’ancien ministre mexicain des relations extérieures Jorge Castañeda, seul La Havane peut infléchir la position irréductible de Caracas. Les conseillers cubains sont présents à tous les niveaux de l’Etat vénézuélien. Les services cubains surveillent la hiérarchie militaire et l’entourage présidentiel. Les milliers de coopérants cubains sont grassement payés par Caracas et La Havane empoche 90 % des devises. Le pétrole vénézuélien reste essentiel pour faire tourner l’économie de l’île, actuellement en récession. « Cuba est à la fois un acteur, à cause de son poids à Caracas, et un modèle, à cause de l’inspiration stalinienne des institutions adoptées au Venezuela », souligne le politologue cubain Armando Chaguaceda, au Mexique.

Avec les FARC, une guérilla communiste plus liée à Moscou qu’au castrisme, la diplomatie cubaine n’avait rien à perdre et tout à gagner. L’enjeu avec le Venezuela est complètement différent. S’il y a une alternance à Caracas, La Havane ne perdrait pas seulement un allié politique, mais surtout le soutien économique qui lui a permis de surmonter l’effondrement provoqué par la fin des subsides soviétiques dans les années 1990. Alors que le général Raul Castro a promis de passer la main en 2018 à un civil, son vice-président, Miguel Diaz-Canel, un effet domino serait à craindre.

Au Venezuela, beaucoup estiment que le principal verrou de la crise politique est le régime cubain, dont la survie est liée au chavisme. Rocio San Miguel, spécialiste vénézuélienne des questions de défense, va jusqu’à dire que « la salle d’état-major où sont prises les décisions stratégiques plus importantes, aussi bien sur le plan politique et militaire qu’économique et social, se trouve à La Havane ».

M. Castañeda écrivait dans une chronique publiée dans le quotidien espagnol El Pais que seuls les Etats-Unis sont capables d’offrir à Cuba des avantages capables d’amener La Havane à réviser son engagement au Venezuela. Or, la diplomatie erratique de Donald Trump rend ce « deal » incertain. Le président américain préfère les coups de menton, comme la menace de nouvelles sanctions, qui confortent M. Maduro dans sa posture « anti-impérialiste ».

Cependant, les Colombiens, eux, ne manquent pas d’atouts économiques face à La Havane, y compris du pétrole. L’industrie pétrolière colombienne a d’ailleurs profité du savoir-faire des anciens cadres de l’entreprise d’Etat Petroleos de Venezuela, purgée par Hugo Chavez. Pour préserver les dividendes de la paix avec la guérilla, Bogota a besoin de stabiliser sa frontière. Le Brésil partage cette nécessité. La crise vénézuélienne est désormais régionale. Les principaux pays d’Amérique latine tentent un ultime sursaut diplomatique.