Comment mettre la justice à l’abri de la contrainte budgétaire qui s’est abattue sur le gouvernement d’Edouard Philippe, quelques semaines après sa mise en place ? Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat et membre du parti Les Républicains, cherche à « lier les mains » du gouvernement alors que le premier ministre a annoncé une loi de programmation quinquennale pour la justice en 2018. Soit après que la loi de programmation des finances publiques aura été votée par la nouvelle majorité cet automne. « La justice n’aura plus pour sa loi que l’espace qu’on aura bien voulu lui laisser », déplore Philippe Bas face à ce calendrier.

Le sénateur de la Manche a donc choisi de déposer mercredi 19 juillet deux propositions de loi ordinaire et organique de programmation afin « d’amener le gouvernement à se positionner ». M. Bas propose de sanctuariser une croissance de 5 % par an du budget de la justice, ce qui ferait 28 % en cinq ans. Cela représente un gain de 2,4 milliards d’euros en faisant passer la ligne dévolue à la Place Vendôme à 10,9 milliards en 2022.

Sur la base d’un rapport publié en avril

En reprenant à son compte le programme de construction de 15 000 places de prisons, ce projet de loi fait la part belle à la pénitentiaire (hausse de 46 % des moyens en cinq ans) par rapport à la justice judiciaire (+ 16 %). A l’appui d’une telle démarche, le président de la commission des lois met en avant sa légitimité acquise par la mission pluripartisane sur les moyens de la justice qu’il a menée pendant neuf mois, et qui a débouché en avril sur un rapport comportant 127 propositions.

Alors que le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé le 11 juillet une ponction de 160 millions d’euros sur le budget 2017 de la justice, M. Bas affirme que sa démarche « donnera des arguments à Nicole Belloubet [la ministre de la justice] face à Bercy et Matignon, et accroît sa marge de manœuvre pendant qu’on lui demande de se concentrer sur la loi de moralisation ». Il devait d’ailleurs rencontrer la garde des sceaux jeudi 20 juillet.

« Pas la mer à boire »

Philippe Bas, qui avait soutenu François Fillon dès la primaire de la droite fin 2016, se prévaut d’avoir réuni un consensus politique au Sénat sur son rapport. Il veut croire que ses propositions, si elles étaient votées par les sénateurs, devront être reprises par le projet de loi du gouvernement ou, à défaut, le forceront à assumer de s’en démarquer. Car le constat sur l’urgence de la situation ne fait plus guère débat, alors que la France est très mal classée en Europe pour la part de son budget consacré à la justice (2,68 %).

Philippe Bas veut coupler la garantie des ressources avec un effort de gestion et une modernisation, « même si le palier que je propose de faire passer en cinq ans n’est pas la mer à boire ». De fait, la gestion en silo du ministère de la justice, fortement critiquée par la Cour des comptes, a toujours donné des arguments aux partisans d’une frugalité budgétaire à Bercy.

Reprenant les propositions de son rapport d’avril, M. Bas préconise de rassembler en un tribunal départemental de première instance le tribunal de grande instance, ainsi que les tribunaux d’instance. Le but étant de donner aux juridictions une taille critique en termes de gestion de moyens et de ressources humaines. Mais, pour maintenir le maillage territorial de la justice, il n’est pas question pour lui de supprimer des implantations. Des chambres détachées pourront tenir leurs audiences dans les lieux de justice autres que le siège du tribunal.

Par ailleurs afin de limiter la mobilisation des magistrats pour des petits litiges du quotidien, le projet reprend l’idée de développer la conciliation qui figurait également dans le programme électoral d’Emmanuel Macron. Concrètement, M. Bas propose une meilleure indemnisation des conciliateurs de justice, bénévoles, et surtout de pouvoir recourir à des « délégués du juge » qui pourraient être nommés, parmi les juristes assistants ou les greffiers assistants du juge, par le magistrat saisi de l’affaire.

Au sujet de l’aide juridictionnelle, ce système à bout de souffle d’indemnisation des avocats chargés de défendre les personnes aux faibles ressources, c’est le retour du droit de timbre (de 20 à 50 euros) supprimé en 2012 par Christiane Taubira. Les justiciables éligibles à l’aide juridictionnelles en seraient dispensés.

A l’ordre du jour en octobre

Le projet de M. Bas semble moins abouti sur certains sujets, comme sur l’exécution des peines. Le sénateur a tenté un pas vers l’idée d’exécution automatique des peines de prison avancée par M. Macron dans son programme présidentiel. Mais, entre les intentions affichées et le réalisme des propositions compte tenu du fonctionnement des tribunaux correctionnels, le fossé semble encore important.

L’initiative de M. Bas reste dépendante de la réponse que le gouvernement apportera à sa demande d’inscription de ses deux textes à l’ordre du jour du Sénat en octobre. D’ici là, la chancellerie devra avoir avancé sur son propre projet, en particulier sur la numérisation de la justice présenté par M. Macron comme un moyen à la fois de moderniser la justice, d’en faciliter l’accès et de réaliser des économies.