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Secrets d’histoire. MOULAY ISMAIL LE ROI SOLEIL DES MILLE ET UNE NUITS | SEP

Imagine-t-on le choc qu’a pu représenter pour le monde policé et codifié de la cour de Versailles la réception par le Roi-Soleil, le 16 février 1699, de l’ambassadeur du sultan marocain Moulay Ismaïl (1645-1727) ?

Ce n’est pas la première fois que le monarque chérifien se fait représenter auprès de Louis XIV : la venue du gouverneur de Tétouan, Mohammad Temim, à l’automne 1681, avait déjà marqué les esprits. Mais l’ambassadeur, reçu à Saint-Germain-en-Laye en janvier 1682, était un homme raffiné, amateur d’arts et de science, qui avait assisté à une représentation de l’opéra Atys de Lully.

Dix-sept ans plus tard, c’est l’amiral du sultan, le corsaire Abdellah Benaïcha, naguère esclave musulman en Angleterre et champion des raids maritimes, qui vient rencontrer le roi pour y négocier un traité ainsi qu’une alliance avec l’une des filles légitimées de Louis XIV, Mademoiselle de Blois. L’affaire tourne court et même les liens diplomatiques et économiques esquissés, chacune des puissances se défiant d’un même ennemi, le royaume d’Espagne, ne résistent pas à l’accession au pouvoir d’un Bourbon à Madrid (Philippe V) moins de deux ans plus tard.

Moulay Ismaïl, sultan du Maroc qui a régné de 1672 à 1727

Les deux mondes sont face à face et l’on souligne le contraste pittoresque. Mais est-ce si pertinent, malgré l’exotisme des images et le ton d’un récit qui flirte avec celui des Mille et Une Nuits ? Pas sûr, pour qui privilégie l’analyse plutôt que le livre d’images. Le souci d’établir une pacification durable d’un espace déchiré par les rivalités tribales, une affirmation dynastique qui s’accompagne d’un cérémonial strict et d’une glorification du monarque jusqu’au choix de l’emblème solaire, les travaux pharaoniques financés par une pression fiscale accrue… Il y a bien des points communs entre la ligne politique arrêtée par Moulay Ismaïl et celle de son contemporain Bourbon. Ils instaurent un centre inédit pour leur toute-puissance, Versailles face à Meknès. Il en est de même pour leur longévité au pouvoir (cinquante-quatre ans et demi de règne personnel pour Louis XIV [1661-1715] et à peine cinq mois de plus pour le sultan alaouite [1672-1727]). Tout au plus l’Histoire, vue d’Occident, a-t-elle fixé l’image d’un sultan moins amateur de faste et autrement sanguinaire, jusqu’à verser le sang lui-même et à sacrifier les siens lorsqu’ils décevaient ou trahissaient. Mais le commerce triangulaire, le Code noir et les dragonnades rendent la comparaison moins déséquilibrée, et le sort du comte de Vermandois, « bâtard du Soleil » disgracié à l’âge de 15 ans et mort l’année suivante, n’est guère plus enviable.

Pittoresque prévisible

Vu le choix judicieux de mettre en lumière le souverain marocain, monté par hasard sur le trône, on aurait aimé une évocation plus resserrée afin que la vraie force de ce règne décisif ne se dilue pas dans les évocations, au pittoresque prévisible, des somptueux palais chérifiens jusqu’au sérail du sultan, source de mystères et de fantasmes.

Comme souvent dans« Secrets d’histoire », l’intensité de l’évocation se dissipe à force de ne pas choisir entre les visites patrimoniales, précieuses mais bien souvent récréatives aussi, et les analyses de fond, essentielles pour saisir la vraie portée du personnage mis en scène. Reste que Moulay Ismaïl mérite ce retour en gloire.

Secrets d’histoire, Moulay Ismaïl : le Roi-Soleil des mille et une nuits. Présenté par Stéphane Bern (Fr, 2017, 115 min).