La pianiste estonienne Fiona Babkina, 11 ans, jeudi 20 juillet dans la cour royale du château d’Amboise. | Agnès Berthet

Parcourir la France en quête de festivals qui soient à la fois originaux et emblématiques de la création artistique actuelle peut, aussi, revenir à cela : se retrouver dans la cour d’honneur d’un des fleurons du patrimoine historique national à écouter des enfants jouer de la musique dodécaphonique. Le château d’Amboise (Indre-et-Loire), lieu de séjour des rois de France pendant plusieurs siècles, accueillait ce jeudi 19 août la première édition du Piano buissonnier, festival itinérant de musique contemporaine se déroulant dans des jardins remarquables de la région Centre-Val de Loire.

La cour royale du château d’Amboise, haut lieu touristique de la vallée de la Loire (350 000 visiteurs par an). | Agnès Berthet

Tout aussi notable est sa programmation : n’y participent en effet que des pianistes enfants, âgés de 11 à 17 ans, récemment primés par l’association Orléans concours international, dont la vocation de révéler des talents dans le répertoire datant de 1900 à nos jours. Olivier Messiaen, Maurice Ravel et Sergueï Prokofiev pour les plus célèbres, mais aussi György Kurtag, Anton Webern et George Crumb, figuraient au programme du jour, interprété par trois jeunes inconnus qui ne le seront peut-être plus un jour, le Français Pierre Lafon (11 ans), l’Estonienne Fiona Babkina (11 ans) et l’Italien Ricardo Bisatti (17 ans).

Le pari – espérer que le public touristique de passage vienne s’asseoir sur les chaises gratuitement mises à disposition - était osé. Il n’a que très moyennement été atteint, avouons-le. L’horaire du concert (17 h 30, moment où le château se vide de ses visiteurs) a sans doute peu aidé à garnir les rangs. Idem des pièces proposées, probablement trop sophistiquées pour des oreilles non habituées.

Certains curieux ont néanmoins pris le temps de s’arrêter et d’écouter. D’autres sont restés dix minutes avant de repartir en se demandant peut-être comment des enfants pouvaient ainsi se passionner pour autre chose que du Bach ou du Mozart.

Pierre Lafon, 11 ans. | Agnès Berthet

La réponse est simple : elle tient à la fois d’un goût affirmé pour le jeu – au sens ludique du terme – et de l’influence exercée par des professeurs spécialisés dans l’enseignement de la musique contemporaine. Élève au Conservatoire à rayonnement régional de Nice, Pierre Lafon travaille ainsi sous la coupe de Stefanos Themopoulos, l’un des meilleurs diffuseurs de l’œuvre de Iannis Xenakis. « Ce que j’aime dans la musique contemporaine, c’est sa grande liberté en matière de tonalité et de tempo, confie l’enfant, qui entrera en classe de cinquième à la rentrée. Le répertoire est aussi très varié. Cela change du baroque. » Sur scène, Pierre Lafon, qui a commencé le piano à l’âge de 5 ans, aime plonger ses doigts dans la partie avancée de la table d’harmonie afin de caresser et pincer les cordes. Un jeu d’enfant, oui.

Fiona Babkina. | Agnès Berthet

Lancé en 1994 par la concertiste et pédagogue Françoise Thinat, le concours international d’Orléans a créé une épreuve destinée aux pianistes juniors il y a sept ans, appelée Brin d’herbe, dans l’idée de mettre en avant une pratique sonore et sensorielle de l’instrument. Invités à se produire sur des scènes françaises et étrangères (Théâtre des Bouffes du nord à Paris, festival Piano City Milano…), c’est la première fois que ses lauréats participent à une mini-tournée dédiée, dans des lieux ouverts au grand public.

Le pianiste italien Ricardo Bisatti, 17 ans. | Agnès Berthet

Le cadre de certains des plus beaux jardins de la vallée de la Loire s’est imposé de lui-même aux organisateurs. « La musique contemporaine ne peut pas s’enfermer éternellement dans ses niches habituelles, il lui faut aller à la rencontre de publics à qui jamais ne viendrait l’idée d’assister à ce type de concert, explique Isabella Vasilotta, la directrice artistique d’Orléans concours international. Quelle meilleure façon de découvrir la musique contemporaine que de voir des enfants en jouer ? Ils s’y investissent avec un tel naturel, sans inhibition. C’est tout sauf du marketing. »

Les jeunes poussent du Piano buissonnier iront prodiguer la bonne parole, en mode dodécaphonique mais pas que, au château de Villandry ce samedi et dimanche au château de Valmer.