Des combats entre un groupe islamiste et l’armée, à Marawi, aux Philippines, le 9 juin. | Aaron Favila / AP

Editorial du « Monde ». Longtemps terre d’islam tolérante à la multitude de minorités ethniques et religieuses qui la caractérise, l’Asie du Sud-Est est, chaque jour davantage, en proie à l’islamisme et à sa ­dérive naturelle et violente qu’est le djihadisme. Tout se passe comme si, au fur et à mesure qu’elle perd du terrain au Moyen-Orient, en Syrie et en Irak, une organisation telle que l’Etat islamique (EI) faisait des adeptes en Asie du Sud-Est.

C’est une évolution qui inquiète tous les pays de la région. Un peu partout, le fondamentalisme musulman progresse, dans sa version wahhabite, importée d’Arabie saoudite, notamment. Mais chacun connaît ce lien de causalité quasi direct : l’islamisme est la base idéologique du djihadisme. Le fondamentalisme musulman précède le djihadisme, il en est le terreau fertile : sa rhétorique nourrit la violence djihadiste.

La crainte est de voir s’implanter une base djihadiste – comme à Rakka en Syrie ou à Mossoul en Irak – servant à la préparation d’attentats

D’où une inquiétude quasi générale que reflétaient les propos des ministres de la défense d’Asie du Sud-Est, réunis en juin à Singapour. La montée de l’islamisme est « la menace sécuritaire la plus importante » dans la région, déclarait le ministre de la défense singapourien, Ng Eng Hen. A l’heure où il parlait, l’armée philippine avait toutes les peines du monde à venir à bout du puissant groupe djihadiste, directement inspiré de l’EI, qui s’était emparé d’une partie de la ville de Marawi, sur l’Île de Mindanao.

Elle n’a pas encore neutralisé tout à fait ce groupe d’hommes bien entraînés, bien armés et comptant nombre d’étrangers – alliance inédite dans cette région de djihadistes venus d’ailleurs et d’islamistes locaux. Dans toute l’Asie du Sud-Est, la crainte est de voir s’implanter une base djihadiste – comme à Rakka en Syrie ou à Mossoul en Irak – servant à la préparation d’attentats et autres opérations violentes.

L’Indonésie a connu le terrorisme islamiste dans les années qui ont immédiatement suivi les attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Mais elle est maintenant le théâtre d’une évolution politico-religieuse lourde de dangers à venir. La troisième plus grande démocratie du monde – 255 millions d’habitants, dont 87 % de musulmans – connaît une montée en force de l’islamisme.

L’enjeu indonésien

Depuis des siècles, elle pratique un islam tolérant, mâtiné de coutumes locales, respectueux de toutes les minorités religieuses. Aujourd’hui, les mouvements fondamentalistes progressent. En témoigne la récente condamnation à deux ans de prison pour blasphème de l’ancien gouverneur de la région de ­Djakarta, Basuki Purnama, un protestant d’origine chinoise, qui avait osé citer une sourate du Coran.

En un sens, les autorités centrales portent une part de responsabilité dans l’éruption fondamentaliste actuelle dans le pays. En 2001, elles ont autorisé la ­pratique de la charia – la loi islamique – dans la province d’Aceh. C’était un ­premier accroc à une tradition indonésienne d’aimable libéralisme religieux. Depuis, le wahhabisme a gagné d’autres régions d’Indonésie, à mesure que les universités du Golfe forment (ou plutôt « déforment ») des milliers de jeunes Indonésiens.

Heureusement, une majorité d’Indonésiens résiste. De grandes associations de musulmans modérés se battent avec détermination contre la poussée islamiste. Une partie déterminante se joue ainsi dans le plus grand pays musulman du monde. Il faut la suivre de près. Parce que l’Europe ne sait que trop que le djihadisme n’a pas de frontières.