Le 22 juillet 2017, jour pour jour, nous aurons passé une année sans notre collègue… Un sentiment confus nous envahit. Commémorer une année de « disparition » ? Mais, à part son absence de trois cent soixante-cinq jours, nous n’avons aucun élément concret pour conclure à sa mort. Toujours ce doute atroce. Désespérés, on s’accroche au plus petit, au plus douteux espoir.

A ce jour, son fils aîné demande toujours à Godeberthe, la maman, de ne pas oublier de mettre de côté « le repas de papa parti travailler ». Dans sa tête d’enfant, dans ses rêves, sûrement que le petit voit papa rentrer, le soulever dans ses bras comme il le faisait…

Certes, nous avons perdu depuis longtemps la candeur enfantine, mais il nous est impossible de dire : « Jean Bigirimana est mort ». Les mots ne sortent pas.

Propos indignes

Avec la disparition Jean Bigirimana, nous avons vécu toutes les réactions. L’indifférence des autorités, le cynisme, comme ces propos indignes d’un homme politique, Jean de Dieu Mutabazi, qui écrira dans un tweet indigne que « Jean Bigirimana est en vacances chez son oncle ».

Mais, heureusement, il y a eu des réactions de compassion, de soutien. C’est d’ailleurs grâce aux informations de la population de Bugarama, où notre collègue a été vu pour la dernière fois, que nous avons pu fouiller la vallée et remonter des fonds de la rivière Mubarazi deux corps. L’un était lesté de pierres. L’autre victime était décapitée. Fortement abîmés par le séjour dans l’eau, les corps étaient méconnaissables.

Nous espérions un test ADN de ces dépouilles. A l’époque nous avons introduit une requête via la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH). Mais les autorités ont décidé l’inhumation des deux corps. Pourtant, un test ADN aurait permis de lever le doute.

Mais Jean n’est pas en vacances. Cela, au moins, est une certitude. Travailleur, amoureux de son métier, père d’une jeune famille, il ne se permettrait pas le luxe de trois cent soixante-cinq jours de vacances.

Le journaliste Jean Bigirimana. | DR

Alors, une fois de plus, hier comme aujourd’hui, comme nous le ferons encore demain, nous posons inlassablement la question : « Où est Jean ? ».

Dans notre culture, pleurer lorsqu’on n’est pas sûr du sort de votre proche porte-malheur, dit-on : « Agasema ». Nous aimerions savoir la vérité pour qu’on laisse enfin nos larmes couler, notre colère trop longtemps contenue, sortir.

Dites-nous, vous qui avez pris Jean. Parce que vous savez. Nous savons que vous savez. De notre côté, nous avons fait ce qu’il fallait faire. Nous avons transmis à la police et la justice tous les éléments factuels de notre enquête, comme ce numéro de téléphone qui a appelé depuis Bugarama la rédaction pour nous informer que le journaliste « vient d’être arrêté ». Au beau milieu de l’après-midi.

Non, Jean ne s’est pas « volatilisé » à Bugarama. Il y avait des témoins. Seulement, on n’a pas cherché la vérité. Nous avons introduit une plainte auprès de la justice burundaise, jusqu’ici sans suite.

Iwacu a même porté l’affaire à l’attention du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires des Nations unies (GTDFI) en août 2016.

« Les morts ne sont jamais partis »

Nous pensons que ceux qui ont « pris Jean », je n’ose pas écrire, « qui ont tué Jean », misent sur le temps et l’oubli.

Comme cet autre politicien, cynique aussi (ils sont légion par ici), qui nous disait de « laisser tomber », car « agapfuye kabazwa ivu » : « les morts appartiennent à la poussière ». Mais tel le poète Birago Diop, je dis que « les morts ne sont jamais partis ».

Non, Jean « n’est pas parti en vacances » depuis trois cent soixante-cinq jours. Honte à vous, hommes « politiques » dont l’éthique et la compassion sont, elles, parties en vacances depuis longtemps !

Non, Jean est toujours là. Jean vit. A travers ses deux enfants et l’amour que lui porte toujours son épouse. Ses enfants à lui seront fiers de porter son nom.

Jean vit. A travers notre engagement de continuer le devoir qui était le sien : informer.

Jean vit. A travers notre refus de nous taire, d’oublier.

Antoine Kaburahe est le directeur (en exil) du journal en ligne Iwacu dont le Monde Afrique est partenaire.