Le groupe californien Red Hot Chili Peppers, à l’hippodrome de Lonchamp, le 23 juillet. | GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Une version réduite de la tour Eiffel trône au milieu du site du festival Lollapalooza, encerclé par la piste de courses de l’hippodrome de Longchamp. Une façon de rappeler au public nombreux (110 000 personnes en deux jours, dont la moitié ­venue de l’étranger) et aux artistes (50 programmés, dont 85 % d’étrangers) l’identité parisienne de la première édition française de cet événement rock d’origine américaine, qui se tenait les 22 et 23 juillet.

Lancé en 1991, sous la forme d’un festival itinérant faisant étape dans une vingtaine de villes aux Etats-Unis, avant de se fixer, en 2005, pour un week-end annuel dans le Grant Park de Chicago (Illinois), Lollapalooza et ses affiches prestigieuses se sont depuis exportés dans plusieurs villes d’Amérique latine (Santiago, au Chili, Sao Paulo, au Brésil, Buenos Aires, en Argentine), avant de s’implanter une première fois en Europe, à Berlin (depuis 2015), puis d’installer sa franchise à Paris, sous l’impulsion de Live Nation France, la branche hexagonale de l’américain Live Nation, l’une des deux plus grosses sociétés de production de spectacles au monde (avec leurs compatriotes d’AEG), propriétaire de l’événement.

Une filiation qui fait grincer des dents. A commencer par celles de l’ancien ministre de la culture, Jack Lang, qui a déploré, le 22 juillet, « l’invasion de multinationales américaines sur la vie musicale française ». Reprenant à son compte les inquiétudes de certains producteurs, Jack Lang dénonce l’extension de l’empire Live Nation et le lancement de Lollapalooza. Il critique aussi la probable entrée d’AEG dans le capital du ­festival Rock en Seine, à l’invitation du nouvel acquéreur de l’événement, l’homme d’affaires Matthieu Pigasse, propriétaires des Nouvelles Editions Indépendantes (Les Inrockuptibles, Radio Nova) et actionnaire du Groupe Le Monde. Un partenariat d’autant plus critiqué que Rock en Seine ­reçoit une subvention de 600 000 euros attribuée par le conseil régional d’Ile-de-France.

« La prise du pouvoir par ces groupes risque de tuer la diversité, de mettre en péril les festivals indépendants... » , estime Jack Lang.

« La prise du pouvoir par ces groupes risque de tuer la diversité, de mettre en péril les festivals indépendants, de favoriser une inflation destructrice des prix et d’encourager la spéculation dans l’art musical sous toutes ses formes », estime Jack Lang.
Refusant d’être mis dans le même sac que les « opérations capita­listiques d’AEG », le directeur général adjoint de Live Nation France, Matthias Leullier, a répliqué : « Live Nation France est une société française qui compte 60 salariés et emploie, pour l’organisation de Lollapalooza, 1 500 personnes, toutes rémunérées, sans bénéficier d’aucune subvention publique. »

Une polémique qui semble bien loin de l’esprit qui animait Lollapalooza à sa création. A l’époque, le chanteur des Californiens de ­Jane’s Addiction, une des formations iconiques du rock alternatif, Perry Farrell, conçoit d’abord l’événement comme une tournée d’adieu de son groupe. « Nous avions demandé à sept autres groupes de nous accompagner », se souvient, joint au téléphone, le fondateur de Lollapalooza. « Pour que la fête soit complète, nous ­avions choisi de greffer à cette tournée des galeries d’artistes, des stands d’associations humanitaires et écologiques. »

Dans une Amérique alors peu pourvue en festivals, l’expérience connaît un tel succès que le principe du plateau itinérant Lollapalooza se reproduit plusieurs années et devient le rendez-vous culte des fans de rock sauvage et de rébellion rap.

Suspendu pendant huit ans, puis sédentarisé à Chicago en 2005, Lollapalooza a élargi son ­esthétique musicale tout en gardant une image suffisamment forte pour devenir une marque capable de s’exporter et d’attirer un public international.

Si Perry Farrell a revendu, en 2005, la majorité de ses parts à Live Nation, il reste très impliqué dans le suivi et le développement de l’événement, sa « bouffée d’oxygène », assure le chanteur qui, après Jane’s Addiction, s’était consacré au groupe Porno for ­Pyros, avant de se passionner pour l’électro. « Je veux que le festival continue de faire vivre des expériences uniques », explique Farrell.

Qu’est-ce que cette première édition parisienne présentait donc de si singulier ? Un espace Kidzapalooza pour les enfants, avec jeux, initiations musicales et interventions d’artistes (La Femme, Martin Solveig…) organisés par le DJ Pedro Winter ; un carré Lolla Planète, consacré au développement durable (bien moins important que ceux conçus par We Love Green ou Le Cabaret vert) ; l’espace culinaire Lolla Chef, imaginé par le médiatique chef Jean Imbert, comme on en trouve de plus en plus souvent dans les rassemblements musicaux.

Pour le reste, rien que de très classique avec l’organisation fonctionnelle de quatre scènes – deux grandes, une « alternative » et un plateau électro –, posées dans cet immense périmètre bordé par les mêmes stands et bars que ceux de festivals comme Solidays ou Rock en Seine.

Accumulation de tête d’affiche

Qu’est ce qui, alors, justifie les tarifs de Lollapalooza, qui, avec un billet à 79 euros et un forfait deux jours à 150 euros, est le festival le plus cher de France ? La différence se fait sur une accumulation de têtes d’affiche rendue possible par la puissance financière de Live Nation et le catalogue d’artistes que la société gère en exclusivité.

Assez éloigné de l’atmosphère électrique dominant souvent les éditions américaines, le programme du samedi 22 juillet possédait une dominante pop célébrant le savoir-faire de rois de la FM, tel Imagine Dragons (une version plus rock et américaine que Coldplay) ou The Weeknd, chanteur canadien d’origine éthiopienne, roi du R’n’B autant que nouveau « King of Pop », alternant tubes irrésistibles et ballades trop sucrées. Ce jour-là, on pouvait leur préférer le dépouillement altier de London Grammar ou la profusion instrumentale des rappeurs de Roots, gorgés de soul, de jazz et de virtuosité hip-hop.

Le dimanche, le festival revenait à une intensité rock plus conforme à sa réputation, même si une des stars du jour, Lana Del Rey, dont le nouvel album, Lust for Life, était sorti la veille, minaudait en princesse de Disney égarée chez David Lynch. Figures cultes du rock alternatif américain, les Pixies gardent tout leur tranchant, quand Liam Gallagher, l’ancien chanteur d’Oasis, tente de retrouver le sien pour ses premiers pas sous son propre nom (après la séparation des stars de la Brit pop, il avait recréé un groupe – médiocre –, Beady Eye).

Alternant classiques d’Oasis (dont Slide Away dédié aux victimes du Bataclan) et nouveaux titres conçus dans le même moule (dont les très corrects Chinatown ou Paper Crown), le cadet des frères Gallagher justifie le titre de son album solo, As You Were (à paraître le 6 octobre), « comme tu étais » – sous-entendu, « quand c’était le bon temps »…

Manquait cependant à cette édition parisienne un concert vraiment fédérateur. Déjà vedettes de la deuxième édition du festival, en 1992, les Californiens des Red Hot Chili Peppers, menés par le bassiste Flea, se sont chargés de retrouver une festive sauvagerie, digne des origines.

La gastronomie s’invite en festival

Pour cette première édition à Paris, les organisateurs français du festival Lolapalooza avaient voulu imprimer leur marque en créant « Lola chef ». Derrière les fourneaux, six chefs, plus ou moins connus du grand public, se sont activés : Yann Couvreur, Denny Imbroisi, Christophe Adam, Juan Arbelaez, Yoni Saada et l’étoilé Eric Guérin, avec comme chef de brigade Jean Imbert, instigateur du projet. « Je travaille beaucoup avec la société Live Nation qui organise le festival. Quand ils ont récupéré Lolapalooza, ils m’ont proposé de créer un espace consacré à la cuisine. J’ai envoyé six SMS à mes potes chefs et tous ont immédiatement accepté », raconte t-il.

Leur défi : proposer une offre accessible (entre 10 et 15 euros) tout en conservant leur identité. « Dans les festivals, le public est plutôt habitué à manger des sandwichs et des frites pour 5 euros. On a voulu jouer sur ce côté snacking mais avec des produits de qualité. C’est un peu décalé et c’est ce qui m’a plu », continue Christophe Adam de L’Eclair de génie. « C’est raccord avec ce qu’on essaie de faire au quotidien : de la cuisine haut de gamme accessible à tous », complète le pâtissier Yann Couvreur, qui a choisi de faire découvrir ses glaces, même si le temps n’est pas vraiment aux grandes chaleurs.