Des scientifiques mesurent le carbone séquestré dans la tourbière de la cuvette centrale du bassin du Congo, la plus grande en zone tropicale. | Cifor

Deuxième revers pour l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) : son projet de « gestion durable des forêts » a de nouveau été retoqué par la Norvège, qui finance l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale (CAFI), lors d’une réunion organisée le 18 juillet à Kinshasa.

Ce projet est dénoncé avec force par une coalition d’ONG internationales et plusieurs associations de la société civile congolaise. « Nous saluons cette décision, a déclaré Jules Caron de l’ONG britannique Global Witness. Ce projet menace la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. Nous encourageons les efforts internationaux, dont ceux de CAFI, dans la lutte contre la déforestation dans le bassin du Congo. Mais ces efforts ne doivent en aucun cas se baser sur un appui à l’exploitation industrielle des forêts qui, depuis cinquante ans en RDC, n’a jamais généré les retombées économiques escomptées, ni contribué à une protection effective de l’environnement. Nous appelons le gouvernement français à retirer définitivement ce programme et à repenser sa politique d’appui à la gestion durable des forêts du bassin du Congo qui soit en droite ligne avec l’Accord de Paris et le Plan Climat récemment annoncé par le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. »

La relance de l’exploitation industrielle des forêts dans le cadre de grandes concessions est le point le plus controversé de ce programme de 18 millions de dollars (16 millions d’euros) qui doit s’inscrire dans le plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD) en République démocratique du Congo (RDC). « REDD est là pour protéger les arbres, pas pour les couper. Je ne connais pas un seul exploitant en RDC qui soit capable de garantir que son activité a un faible impact sur la forêt », affirme Joseph Bobia Bonkaw de l’ONG congolaise Réseau ressources naturelles (RRN), présente à la table des discussions avec les bailleurs et les représentants du gouvernement.

Une découverte « stupéfiante »

Mais l’AFD n’a pas face à elle que des militants radicaux. La mobilisation contre ce projet qui, dans sa version initiale, envisageait de multiplier par trois la superficie des concessions industrielles, a gagné les milieux académiques. Dans une lettre ouverte publiée le 13 juillet, trente scientifiques interpellent le ministre de l’environnement norvégien pour lui demander de rejeter le projet au nom de la protection de la plus grande tourbière identifiée à ce jour dans la zone tropicale.

Parmi eux se trouve le professeur Simon L. Lewis de l’université de Leeds (Royaume-Uni). Il fait partie de l’équipe de chercheurs qui ont révélé l’importance de ce réservoir de carbone, insoupçonné il y a encore quelques mois.

Dans un article publié en février dans la revue scientifique Nature, le professeur Lewis et ses co-auteurs décrivaient un écosystème complexe vieux de près de 11 000 ans situé dans la cuvette centrale du bassin du Congo, à cheval entre le Congo-Brazzaville et la RDC. Sa superficie d’environ 145 000 km2 est seize fois plus grande que ce que « nous avions estimé en 2012 lors des premières évaluations ». Ce sol peu profond – de deux à six mètres – « stocke environ 30 milliards de tonnes de carbone », l’équivalent de vingt années des émissions des Etats-Unis liées aux énergies fossiles ou autant que l’ensemble des forêts du bassin du Congo, s’émerveillaient-ils, en s’étonnant qu’une découverte aussi « stupéfiante » puisse être faite en 2016.

Cette tourbière stocke autant de carbone que l’ensemble des forêts du bassin du Congo

Dans sa lettre du 13 juillet, le professeur Lewis et les autres signataires s’inquiètent « de constater que l’AFD ne prête aucune attention particulière aux dommages que pourrait provoquer son programme sur les tourbières. Elle n’en parle même pas ». Pour cette raison, « nous considérons que, dans les circonstances actuelles, le projet de l’AFD doit être rejeté ». Les scientifiques insistent sur la fragilité d’un milieu très sensible aux perturbations : « Aujourd’hui, il séquestre du carbone, mais couper les arbres ou modifier le drainage peut facilement conduire ces tourbières à relâcher dans l’atmosphère le carbone stocké, comme nous l’avons constaté en Indonésie. »

La Norvège, qui a promis 200 millions de dollars à la RDC pour protéger sa forêt, a été sensible à ces arguments. « La Norvège et d’autres membres du comité technique du Fonds national REDD qui s’est réuni à Kinshasa ont invité l’AFD à soumettre une proposition qui garantisse que ce projet contribuera à réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à la déforestation en RDC », a déclaré le secrétaire d’Etat au climat et à l’environnement, Lars Andreas Lunde. L’AFD, qui n’a pas reçu officiellement les recommandations du comité technique, n’a pas souhaité s’exprimer. Après des débats tendus, elle a obtenu une dernière chance de revoir sa copie.