Discours de politique générale d’Edouard Philippe à l’Assemblée Nationale le 04 juillet. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH POLITICS POUR "LE MONDE"

TRIBUNE. Dans sa déclaration du 3 juillet devant le Congrès à Versailles, le président de la République a exposé la future réforme des institutions, dont l’unité réside principalement dans l’objectif de « réduction », voire de « suppression ». Si l’on est habitué au leitmotiv de la diminution du déficit budgétaire et de la dépense publique, ainsi que de celui du nombre de fonctionnaires que l’on nous rabâche depuis des décennies, on l’est moins à propos des institutions politiques, qui restaient plus ou moins à l’abri de cette obsession réductionniste.

Désormais, la réduction s’étend à l’ensemble des organes politiques : il faut réduire le gouvernement, le nombre des collaborateurs présidentiels, ministériels, des membres du Conseil économique, social et environnemental, et maintenant celui des parlementaires — députés comme sénateurs. La « réduction » ne serait-elle pas en passe de devenir la notion clé de la réforme de l’État ? On se permettra plus spécialement d’interroger ce qui semble être unanimement admis, aussi bien par le personnel politique que par la société civile, à savoir une réforme du Parlement.

Si les arguments avancés pour réduire le nombre de parlementaires sont louables, et au premier chef la volonté de revaloriser l’action du Parlement, le raisonnement de cause à effet est loin d’être évident. En effet, en quoi le fait de diminuer le nombre de parlementaires participerait-il ipso facto d’une telle revalorisation de l’institution ? Une réponse parfois avancée consiste à rappeler qu’un trop grand nombre de députés contribue à allonger les débats et à produire une cacophonie qui se répercute sur la qualité de la loi et le contrôle du Gouvernement. Or, la mise en place du temps législatif programmé (TLP) à l’Assemblée nationale permet dorénavant de fixer à l’avance la durée de l’examen d’un texte en séance, évitant ainsi que les débats ne s’éternisent en raison notamment du dépôt de nombreux amendements, ce qui responsabilise l’opposition parlementaire.

Préserver le pluralisme

Cet argument méconnaît surtout le fait que le gouvernement utilise de manière quasi systématique la procédure accélérée, qui réduit fortement les débats au Parlement et limite l’examen d’un texte à une seule lecture dans chaque assemblée. Par ailleurs, plus les parlementaires sont nombreux, plus les débats sont enrichis d’idées nouvelles et de positions différentes. La nouvelle majorité se contredit elle-même en revendiquant une revalorisation du Parlement tout en utilisant déjà de manière immodérée la procédure accélérée (déjà neuf textes depuis l’élection du nouveau Président) et en induisant ainsi un affaiblissement du pluralisme des idées.

Si le Président soulève, à juste titre, que le Parlement manque de moyens matériels pour remplir correctement ses fonctions de contrôle, on se permet de douter que les économies effectuées serviront à recruter davantage d’administrateurs dans chaque Assemblée. Alors que le député René Dosière soulignait dès 2013 que le « budget de l’Assemblée correspond à celui d’une ville comme Nice et est trois fois inférieur à celui du Conseil général des Hauts-de-Seine », la seule motivation de cette réduction institutionnelle semble bien résider dans la volonté de faire des économies.

Or, les conséquences d’une réduction du nombre de députés peuvent être lourdes en termes démocratiques. Outre la diminution du pluralisme des opinions, c’est à une déterritorialisation que l’on risque d’assister tant tout est mis en œuvre pour couper le député de sa circonscription électorale. Plus est réduit le nombre de parlementaires, plus les circonscriptions sont étendues, et donc moins le député aura de relations avec les citoyens.

Considérer la diversité territoriale

Cette situation préoccupante contribue à accroître l’écart avec le territoire, surtout dans les zones rurales, où les circonscriptions sont déjà difficiles à parcourir par les députés qui souhaitent sillonner leur territoire à la rencontre de la diversité citoyenne. Or, n’oublions pas que l’une des meilleures expertises réside précisément dans la capacité du parlementaire à faire remonter les préoccupations locales au niveau national et à formaliser dans la loi les spécificités territoriales. Réduire le nombre de députés, c’est limiter cette expertise ainsi que la prise en compte de la diversité territoriale de la France. C’est surtout ignorer la fonction locale du parlementaire dans les zones périurbaines comme rurales.

Par ailleurs, illustrer le bien-fondé de la réduction des parlementaires en prenant les États-Unis ou l’Allemagne comme exemples relève de la mauvaise foi. En sens inverse, on pourrait rétorquer qu’il y a 50 députés au Turkménistan ou bien 120 au Kirghizistan, et qu’il ne s’agit pas des États les plus progressistes de la planète. Rappelons d’ailleurs que dans les régimes autoritaires, les chambres sont peu nombreuses : l’Assemblée nationale dans le régime portugais de Salazar comportait 90 députés. La réduction du nombre de députés risque plutôt de favoriser le présidentialisme de la Vème République en évitant de diluer la majorité et, surtout, en bridant l’opposition alors même que le discours devant le Congrès prétendait la valoriser.

Députés hors-sol

Bref, il s’agit avant tout de renforcer la majorité en place afin d’accélérer l’adoption des réformes par la diminution d’une potentielle contestation parlementaire. Or, c’est moins la procédure et le nombre de députés qui sont critiquables en France que le contenu même des réformes qui, pour la plupart, sont insuffisantes ou mal faites.

Cette situation serait accentuée par l’instauration d’une dose de proportionnelle, qui risquerait de créer des « députés hors-sol » à côté de ces nouveaux députés déterritorialisés. La suppression pure et simple de la réserve parlementaire — remplacée pour l’instant par une dotation de soutien à l’investissement des communes rurales —, quand il fallait réfléchir à sa réorganisation, renforce cette « délocalisation » ou « nationalisation » du Parlement. Une bonne gestion de cette enveloppe financière, comme ont pu le faire certains députés qui ont mis en place des jurys citoyens pour définir les modalités de son usage, leur permettait tout à la fois d’acquérir une connaissance de leur territoire et de participer activement à la vie locale.

La réponse aux critiques adressées à l’État et à ses représentants, en matière de conflits d’intérêts, d’inefficacité, de lenteur est finalement recherchée dans l’interdiction pure et simple des pratiques contestées sans jamais que l’on réfléchisse à ce qui avait justifié leur création. Les projets législatifs sur la moralisation, qui constituent une fois encore une réaction insuffisante et mal réfléchie aux circonstances politiques malheureuses, contribuent donc à amputer les institutions politiques et à diminuer leur champ d’action plutôt qu’à raisonner sur les véritables enjeux déontologiques, lesquels ne se situent d’ailleurs plus au Parlement mais au sein du pouvoir exécutif et de la haute fonction publique.

Vision managériale

La réforme de l’État ne mérite-t-elle pas mieux que cette mécanique réductionniste qui peine à être compensée par quelques propositions, bien faibles, relatives à la démocratie participative (sur le vieux droit de pétition principalement) ?

La réduction des institutions va de pair avec le mouvement continu, depuis les années 1980, de diminution du rôle de l’État, notamment dans le secteur économique, sous l’influence des thèses néolibérales, bien implantées au sein de l’Union européenne. Moins de fonctions pour l’État et donc des institutions plus réduites, cette approche enregistrant en tout point l’idée d’« État minimal » prônée par les néolibéraux, qui rejettent tout interventionnisme et toute redistribution. On assiste en réalité à une véritable dilution du politique dans une logique gestionnaire.

Si cette réduction institutionnelle correspond à une vision managériale de l’État qui repose sur l’obsession d’efficacité (notion obscure s’il en est), elle est plus difficilement conciliable avec les notions de démocratie, de pluralisme, d’unité nationale, qui sont également mobilisées par la rhétorique présidentielle. La confiance du public, tellement mise en avant depuis la campagne présidentielle, a-t-elle vraiment une chance d’être restaurée en éloignant un peu plus les institutions, et surtout le Parlement, des citoyens ?

Jean-François Kerléo, maître de conférences en droit public, a publié « La transparence en droit » (Mare & Martin, 2016)