Le cas exceptionnel d’un enfant sud-africain, en rémission plus de huit ans après l’arrêt de son traitement, passionne les chercheurs réunis à la conférence de l’International AIDS Society (IAS), à Paris. | Denis Farrell / AP

Né d’une mère séropositive, un enfant sud-africain, infecté par le VIH à la naissance et traité précocement par des antirétroviraux pendant quarante semaines, présente toujours une charge virale indétectable plus de huit ans après l’arrêt de son traitement. Le cas de cet enfant, à présent âgé de 9 ans et demi, a beau être une exception rarissime, il n’en constitue pas moins l’une des présentations les plus remarquées lors de la conférence scientifique de l’International AIDS Society (IAS), qui s’est ouverte à Paris dimanche 23 juillet.

Le petit patient, dont l’identité et le sexe n’ont pas été révélés, était suivi à Soweto dans le cadre d’un essai clinique mené de 2005 à 2011 par les Dr Avy Violari et Mark Cotton. Celui-ci avait pour but d’évaluer la meilleure utilisation possible des traitements anti-VIH qui venaient tout juste d’arriver en Afrique du Sud. En 2008, le tirage au sort avait affecté l’enfant, alors âgé de 2 mois, à un groupe qui a reçu des antirétroviraux pendant quarante semaines. Au bout de ce délai, l’essai prévoyait une interruption du traitement si l’état clinique était bon et le nombre de cellules CD4, en première ligne dans les défenses immunitaires, suffisamment élevé. Ce fut le cas pour cet enfant.

Huit ans et demi après l’arrêt du traitement, il est toujours suivi par l’équipe de chercheurs avec l’aval de la famille et du comité d’éthique de l’université du Witwatersrand. Il continue de n’avoir aucune réplication du VIH, ce qui signifie que, si le virus est toujours présent dans son organisme, l’infection demeure contrôlée. « Nous sommes ravis pour cet enfant et les parents sont très heureux. Nous surveillons sa charge virale afin de pouvoir déceler d’éventuels signes de rebond, qui indiqueraient que le virus se multiplie », précise le Dr Cotton. Le risque de voir une réactivation du virus est en effet bien réel et les chercheurs ont en tête le cas du « bébé du Mississippi ».

Facteurs génétiques, immunitaires ou virus lui-même ?

En mars 2013, des médecins américains annonçaient la découverte d’un bébé né séropositif chez lequel la réplication virale était abolie. Il avait été traité intensivement très tôt, mais sa mère avait ensuite interrompu le traitement. Malheureusement, en juillet 2014, l’équipe médicale annonçait que le virus s’était réactivé et proliférait. Il existe d’autres très rares cas d’individus qui, après interruption des antirétroviraux, ont une infection restant sous contrôle. C’est le cas, en France, des 14 patients de la « cohorte Visconti » et d’une adolescente qui est toujours en rémission douze ans après l’arrêt du traitement, suivis par le Pr Christine Rouzioux (université Paris-Descartes, CHU Necker, AP-HP) et le Dr Asier Saez-Cirion (Institut Pasteur).

Ils sont appelés « contrôleurs post-traitement » pour les distinguer d’un autre type de personnes vivant avec le VIH, baptisés, eux, « contrôleurs d’élite », qui n’ont pas de signe de réplication virale sans jamais avoir été traités par des antirétroviraux. Estimés représenter jusqu’à 1 % des individus infectés par le virus du sida, les contrôleurs d’élite présentent des caractéristiques génétiques qui leur confèrent cette capacité à développer une réponse immunitaire très forte.

« Nous n’avons pas encore fini les examens chez l’enfant que nous suivons et ne connaissons pas encore toutes ses caractéristiques, indique le Dr Avy Violari. Celles que nous avons pu analyser ne correspondent pas à ce que l’on retrouve chez les contrôleurs d’élite, mais nous pensons à effectuer un séquençage complet de son génome pour en savoir plus. A ce stade, nous ne savons pas si sa rémission est due à des facteurs génétiques, à des facteurs immunitaires ou au virus lui-même. »

Contrairement au cas de l’adolescente française, chez qui le virus est présent sous sa forme capable de se répliquer, les médecins ont retrouvé chez l’enfant sud-africain seulement le génome viral, intégré dans l’ADN des cellules infectées. Ce jeune patient avait commencé par avoir une charge virale élevée. Mais les cellules CD4 du système immunitaire – que le VIH infecte en priorité – exprimaient très peu le récepteur qui sert de porte d’entrée à ce virus. Il y avait donc beaucoup de VIH dans le sang, mais une très petite porte d’entrée dans les cellules.

Pas de guérison, mais une rémission

« Pour l’instant, ce cas n’a pas d’implication sur les politiques en matière de traitement, souligne le Dr Avy Violari. Il est important pour comparer ce qui se passe chez des enfants du même âge, infectés et non infectés, déceler les différences et identifier les agents qui pourraient modifier le cours de la maladie, que ce soit des médicaments, des anticorps neutralisants… Cela contribue à donner un élan à la recherche. »

Pour le Pr Sharon Lewin (directrice du Doherty Institute for Infection and Immunity, université de Melbourne, Australie), « ce cas de contrôle post-traitement confirme le fait que, si les antirétroviraux pris précocement diminuent l’infection et la transmission, ils ne guérissent pas mais permettent d’atteindre une rémission ». « Il faut donc trouver le moyen de stimuler le système immunitaire afin d’aller plus loin et rendre cette rémission durable. »

C’est également l’avis du Pr Anthony Fauci (directeur de l’Institut national de l’allergie et des maladies infectieuses, NIAID, Etats-Unis), qui insiste sur « la très grande variabilité des réponses immunitaires lorsque l’on traite par les antirétroviraux et que l’on interrompt le traitement ». « Est-ce que le rebond est inéluctable et que ce n’est qu’une question de temps ? Est-ce lié à la réponse immunitaire au virus ? Il faut en tout cas trouver les interventions qui permettront de prolonger le contrôle et retarderont le rebond. »

Anthony Fauci préfère parler de « rémission sans traitement antirétroviral » plutôt que de « guérison » (cure). « La guérison, ou l’éradication, est extrêmement difficile et peut-être même impossible en dehors de quelques exceptions, explique-t-il. Pour prolonger durablement la rémission, nous travaillons sur le transfert d’anticorps neutralisants à large spectre. [Injectés dans l’organisme, ces anticorps bloquent l’entrée du virus dans les cellules et constituent une immunisation passive.] L’idée serait de disposer de tels anticorps à action prolongée avec, par exemple, une injection tous les six mois. »

Au-delà du cas de l’enfant sud-africain, c’est donc la stratégie thérapeutique pour les personnes vivant avec le VIH qui est posée. Elle ne saurait l’être sans la combinaison avec les outils de prévention.

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