Avec Zabou Breitman, la raison raisonnante fait des pirouettes, et c’est bien. La comédienne, metteuse en scène et cinéaste présente à Avignon Logiquimperturbabledufou, un spectacle qui est un des gros succès d’un festival off qui, par ailleurs, n’a pas offert de véritable révélation, cette année.

Logiquimperturbable… se joue au Théâtre des Halles, une des salles du off qui tient le cap d’une vraie qualité artistique : on peut y voir, jusqu’au 29 juillet, des pièces d’Ahmed Madani, de Flore Lefebvre des Noëttes, de Koltès, d’Aziz Chouaki… et y aller admirer Denis Lavant dans Cap au pire, de Beckett, sous la direction de Jacques Osinski.

Ce n’est pas la première fois que Zabou Breitman s’intéresse à la folie, ou à ce qu’on appelle ainsi. On peut même dire qu’elle rôde toujours un peu autour. En 2008, elle avait signé un excellent spectacle, Des gens, adaptation théâtrale du film de Raymond Depardon, Urgences (1988), tourné aux urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu, à Paris – une pièce qui, d’ailleurs, avait révélé Laurent Laffite, lequel est depuis entré dans la troupe de la Comédie-Française.

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Humour, gravité et fantaisie

Zabou Breitman partage avec Depardon une même manière de regarder ses semblables à hauteur d’homme. Logiquimperturbable… (dont le titre est tiré d’un roman de Lydie Salvayre, La Compagnie des spectres) est dans la même lignée que Des gens, et fait montre de ce mélange d’humour tirant sur l’absurde, de gravité douce, de fantaisie et de légèreté dont Zabou Breitman a le secret. La metteuse en scène s’est inspirée de textes de Tchekhov, de Shakespeare, de la regrettée Zouc et d’un documentaire des années 1970 sur la célèbre clinique de La Borde, spécialiste d’une prise en charge alternative des patients, pour écrire sa propre pièce, qui prend place, là aussi, dans le service de psychiatrie d’un hôpital.

Et d’emblée c’est à la fois terriblement drôle et légèrement inquiétant, tant la logique imperturbable et la folie semblent se mêler aussi bien chez les patients que chez les soignants. Zabou Breitman pourtant ne tombe pas dans le panneau un peu démago qui consisterait à dire qu’il n’y a pas de frontière entre les fous et les gens dits « normaux ». Mais elle travaille sur cette frontière-là, la titille, la fait valser, la met cul par-dessus tête, la fait tourbillonner dans l’espace comme un nez de clown, pour mettre de l’air, et voir ce qui se passe.

Soigneur et soigné

Et ce qui se passe, c’est que l’on voit les passages parfois très ténus entre la raison et la folie, la vie qui est toujours prête à déraper dans le quotidien le plus banal, et la lucidité aigüe dont font souvent preuve les gens qui sortent des rails de la société. C’est d’autant plus sensible, et jouissif, que les quatre comédiens du spectacle passent sans cesse d’un rôle à l’autre, soignant ou soigné, avec une aisance confondante, juste en enlevant leur blouse blanche, ou en la recouvrant d’un oripeau.

Zabou Breitman s’amuse, tout en délicatesse, de ces histoires de fous de toutes les manières possibles

Zabou Breitman s’amuse, tout en délicatesse, de ces histoires de fous de toutes les manières possibles. La partition est ici autant physique, acrobatique et visuelle, que textuelle. La poésie naît d’un rien, de la langue hyper-technique de la psychiatrie (ah ces noms de médicaments, mystérieux comme des planètes lointaines…), au moins aussi hermétique que celle des internés, ou de détails qui changent tout à coup d’échelle, comme ce pull-over rouge qui grandit, grandit, jusqu’à devenir un abri pour tous les habitants de la cage aux fous.

Metteuse en scène de Topor ou de Feydeau, la Breitman a un sens très fin du burlesque, du jeu sur les proportions qu’il suppose, et de la précision de rythme et de jeu qu’il requiert. Elle a formidablement bien choisi et dirigé ses quatre jeunes comédiens, Antonin Chalon, Camille Constantin, Rémy Laquittant et Marie Petiot. Jamais ils ne lâchent la note de cet hyperréalisme aérien, de cet humanisme sans grandes orgues, qui font tout le prix de ce spectacle promis à une grosse tournée lors de la saison 2018-2019.

Logiquimperturbabledufou, par Zabou Breitman. Théâtre des Halles, rue du roi René, Avignon. Tél. : 04 32 76 24 51. A 19 h 30, jusqu’au 29 juillet. De 10 à 22 €. Durée : 1 h 20. Puis tournée à l’automne à Toulon, Avignon, Aix-en-Provence et Antibes.