Le président turc Recep Tayyip Erdogan avec la chancelière allemande Angela Merkel, à Hambourg, le 8 juillet 2017. | HANDOUT / REUTERS

Mu par un soudain souci d’apaisement, le gouvernement turc a renoncé à ses velléités de poursuites contre 700 sociétés allemandes implantées en Turquie et soupçonnées de financer le terrorisme. Lundi 24 juillet, Suleyman Söylu, le ministre turc de l’intérieur, a appelé son homologue allemand, Thomas de Maizière, pour l’assurer que la liste déposée auprès d’Interpol avait été retirée. Il a évoqué « un problème de communication » pour expliquer la volte-face des autorités turques, promptes à voir partout des « terroristes » adeptes du prédicateur Fethullah Gülen depuis la tentative de putsch qui lui est attribuée et qui a failli renverser le président Recep Tayyip Erdogan, le 15 juillet 2016.

La liste « noire » des 700 entreprises allemandes – dont des poids lourds tels que BASF et Daimler – constitue l’un des nombreux litiges qui empoisonnent les relations entre Berlin et Ankara depuis la fin du printemps 2016. Pour avoir voté une résolution, au Bundestag, reconnaissant le génocide des Arméniens pendant la première guerre mondiale, pour avoir donné l’asile politique à des officiers turcs de l’OTAN accusés de sympathies progülenistes, pour avoir refusé d’accueillir les meetings des ministres du gouvernement islamo-conservateur avant le référendum constitutionnel du 16 avril élargissant les pouvoirs du président turc, l’Allemagne s’est retrouvée dans le viseur de M. Erdogan.

« Sérieuse crise de confiance »

Neuf Allemands sont actuellement emprisonnés en Turquie, dont le journaliste Deniz Yücel, depuis février, et le militant des droits de l’homme Peter Steudtner, arrêté début juillet à Istanbul avec Idil Eser, la directrice d’Amnesty International pour la Turquie. Alors que la détention de M. Steudtner a été prolongée, il n’a pas encore eu droit aux visites de son consulat, faute d’autorisation des autorités turques.

La tension est encore montée d’un cran, mi-juillet, quand Ankara a refusé à des députés du Bundestag l’accès à la base de l’OTAN de Konya (centre de la Turquie) où des militaires allemands sont stationnés. Un mois plus tôt, un refus similaire avait empêché une délégation parlementaire allemande de se rendre sur la base d’Incirlik, ce qui a abouti au transfert en cours des soldats et des avions allemands en Jordanie. Une « sérieuse crise de confiance », oppose les deux pays, selon le ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu.

Il aura toutefois fallu que Berlin décide de frapper la Turquie au porte-monnaie pour ramener le gouvernement islamo-conservateur à de meilleurs sentiments. En l’espace de vingt-quatre heures, deux des principaux ministres d’Angela Merkel, Sigmar Gabriel (affaires étrangères) et Wolfgang Schäuble (finances), sont montés au créneau en fin de semaine dernière, la chancelière elle-même étant restée assez modérée au sujet de la Turquie au cours des derniers mois. Ce que ne se prive pas de lui reprocher le social-démocrate Martin Schulz, qui l’affrontera aux législatives du 24 septembre.

Avec plus de 6 000 entreprises en Turquie, l’Allemagne joue un rôle moteur pour la croissance et pour l’emploi

Mais l’attitude envers la Turquie n’est pas un véritable sujet de clivage à l’intérieur de la grande coalition entre sociaux-démocrates (SPD) et conservateurs (CDU). Jeudi 20 juillet, M. Gabriel interrompait ses vacances pour annoncer une « réorientation » de la politique allemande vis-à-vis de la Turquie et expliquer qu’« on ne saurait conseiller d’investir dans un pays où la sécurité n’est pas garantie ». Le lendemain, dans le quotidien Bild, M. Schäuble dissuadait ses concitoyens de se rendre en Turquie, expliquant que l’évolution du pays lui « rappel[ait] la façon dont les choses se passaient en RDA ».

Une rupture avec Berlin, qui a aussi menacé de mettre fin aux garanties publiques d’investissements d’entreprises allemandes en Turquie et de revoir l’attribution des fonds européens de préadhésion de la Turquie à l’UE, ne serait pas à l’avantage de M. Erdogan, dont l’économie se remet à peine d’une spirale de difficultés, survenues surtout après le putsch raté.

Premier partenaire commercial de la Turquie, principal pourvoyeur de touristes avec 3,9 millions de visiteurs en 2016 et deuxième investisseur étranger, l’Allemagne, avec plus de 6 000 entreprises implantées en Turquie, joue un rôle moteur pour la croissance et pour l’emploi. Le fait que la monnaie locale, la livre turque, a baissé de quelques points lundi – même si cela est à mettre au compte de l’appréciation de l’euro face au dollar – a sans doute contribué à calmer l’ardeur querelleuse du gouvernement turc.