Hernan PINERA / Flickr

« A Paris, sans GPS, ce n’est pas possible », constate Juliette. Pourtant la jeune fille a vécu en Indonésie, voyagé au Vietnam, grandi entre Perpignan et la Bourgogne. Elle sait se servir d’une boussole et lire une carte. Celle dont le téléphone est souvent déchargé, qui arrive « avec deux heures de retard à toutes les soirées » parce qu’elle « ne trouve pas l’adresse » appartient à cette « génération Erasmus » – voyage en train, en avion, en bateau et parfois en stop. Mais le GPS reste ouvert sur son téléphone, « à l’étranger un peu moins, parce que mon forfait 3G ne passe pas les frontières ».

Dans son groupe d’amis, Héloïse, réussit même à se perdre en suivant son smartphone : « Dès que ce ne sont pas des lignes droites, et des intersections claires, je n’arrive pas à me repérer. » Alors les jeunes seraient-ils incapables de s’orienter sans GPS ?

« Ah mais complètement, s’empresse de répondre Clara, étudiante parisienne qui se déplace principalement à vélo. Quand je dois emprunter une nouvelle route, par exemple pour aller en stage, la première semaine je vais me perdre tous les jours, à chaque fois de manière différente. » Les dernières recherches sur le sens de l’orientation tendent à prouver que l’utilisation d’un GPS nuit à notre capacité à nous orienter. Une étude publiée par Nature & Communications en mars, montre ainsi que notre GPS interne se met en veille lorsqu’on suit les indications d’un smartphone.

Le rôle de l’hippocampe et du cortex préfrontal

En clair, nous sommes moins à même de retenir les indices qui nous permettraient de nous repérer, comme un magasin, un immeuble ou une intersection. Et plus nous utilisons notre smartphone pour nous guider, moins les zones de notre cerveau responsables de l’orientation, l’hippocampe et le cortex préfrontal, sont sollicitées. L’équipe de chercheurs soulève également des conséquences à long terme. Les utilisateurs intensifs de GPS pourraient ne plus être capables de se repérer sans cet outil, faute d’avoir entraîné leur cerveau à s’orienter seul.

C’est aussi le constat que dresse Jean-Marc Lamory, ancien accompagnateur de montagne et auteur de S’orienter. Des techniques traditionnelles aux nouvelles technologies (Glénat). « Aujourd’hui, pour se situer, les gens n’ont plus besoin de comparer la carte et le terrain. Et si on ne fait plus cet aller-retour constant, ce travail intellectuel, alors on ne sait pas se repérer. On perd aussi le plaisir d’imaginer le paysage que l’on va découvrir », remarque-t-il.

Si les jeunes ne savent plus s’orienter, c’est également le reflet d’un monde où l’on accepte moins d’être perdu. « On a pris l’habitude de toujours savoir où l’on est et c’est bien dommage », regrette M. Lamory.

Pour retrouver cette sensation d’inconnu, trois jeunes Bretons, Benjamin, Louis et Thomas, ont fondé l’association Cap à l’Ouest. En 2016 ces trois jeunes diplômés ont traversé l’Atlantique à la voile et surtout sans instrument de navigation moderne. « On a suivi une semaine de formation pour apprendre à naviguer au sextant, raconte Louis de Laromiguière. Il y a eu vingt jours où on était au milieu de l’océan, avec comme seuls repères les étoiles et les oiseaux, c’est une sensation unique. »

L’art de la dérive

Se déplacer sans GPS, c’est aussi accepter de ne pas toujours arriver à destination, ou pas dans les délais prévus, accepter de se perdre en somme. Les trois apprentis marins en ont fait l’expérience lors de leur voyage. « Sur notre premier gros morceau de navigation, on a raté l’île de Madère. Pourtant, en regardant la carte, on aurait dû être en plein milieu. Il nous a fallu deux jours pour comprendre que l’on avait sous-estimé un courant dans le détroit de Gibraltar, qui nous avait poussés très au sud », se remémore-t-il. Il est finalement des voyages où ce qui compte « ce n’est pas d’aller d’un point A à un point B », souligne le jeune homme.

Une position défendue par Guy Debord dans sa « théorie de la dérive », qu’il définit comme le renoncement « pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir » ainsi qu’« aux relations, aux travaux et aux loisirs » afin de « se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent ».

Difficile pour la génération Erasmus, hyperconnectée et habituée à pouvoir se repérer partout, de se laisser aller à la dérive. Alors les artistes Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin ont mis au point un « random GPS », qui aide et invite l’utilisateur à se perdre. L’outil indique une direction sans qu’il soit possible d’entrer une destination, ni de changer le parcours. Un instrument pensé comme une « assistance à l’aventure quotidienne ».

A ceux que la « dérive » ne tente pas et qui voudraient s’essayer à la lecture de cartes, Jean-Marc Lamory rappelle que le sens de l’orientation « n’existe pas », il s’agit avant tout d’« observer », et ça, « tout le monde peut le faire ».