Franck Riester, Thierry Solère et le groupe des Constructifs à l’Assemblée nationale (Paris), le 4 juillet. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

Cumul d’un mandat et d’une activité de conseil, intervention des lobbies : la réduction des conflits d’intérêts pour les parlementaires est un enjeu clé des projets de moralisation de la vie politique, et un dossier hautement sensible dans une Assemblée nationale où nombre d’élus viennent de la société civile.

L’ex-garde des sceaux François Bayrou (MoDem), qui a préparé ces textes de loi de moralisation, voulait mettre les décisions publiques « à l’abri des conflits d’intérêts ». Le gouvernement n’est cependant pas parti d’une feuille blanche : le cumul de certaines fonctions avec un mandat parlementaire était déjà prohibé et les déclarations d’intérêts et d’activités étaient, depuis 2014, publiques.

Environ 10 % des députés et des sénateurs étaient cette année-là rémunérés dans le privé – pour plus de 100 000 euros annuels pour une vingtaine d’entre eux. Cette proportion a augmenté avec l’arrivée massive de députés de La République en marche (LRM) issus de la société civile, dont une quarantaine de chefs d’entreprise et une centaine exerçant une profession libérale (avocat, médecin…).

Ne pas « créer une caste hors sol »

Ces nouveaux élus font valoir dans l’Hémicycle leur « expérience » passée et leur « pragmatisme ». La députée (LRM) de l’Essonne Amélie de Montchalin, cadre supérieure dans l’assurance, a encore prôné, mardi 25 juillet, un « ancrage » des parlementaires « dans la vie économique » pour ne pas « créer une caste hors sol ». La plupart pensent poursuivre leur activité professionnelle au moins une journée par semaine.

Leurs collègues des Républicains (LR) comme ceux des « constructifs » en appellent à la mesure sur ce sujet « complexe ». « Il est bien d’avoir des médecins qui parlent de santé, des agriculteurs qui parlent d’agriculture », estime ainsi Christian Jacob, le président du groupe LR au Palais-Bourbon, lui-même un ancien agriculteur. Le député « constructif » de Seine-et-Marne Franck Riester, patron d’une concession automobile, a demandé également à « ne pas pousser le curseur trop loin pour faire beaucoup de démagogie ».

Brouhaha généralisé

Les débats sur les textes de « confiance », ont donné lieu, mardi, à de vives tensions, après de premiers incidents similaires la veille.

Dès l’ouverture de la séance, lundi, le ton avait en effet été donné : la socialiste Cécile Untermaier (Saône-et-Loire) avait déploré des débats qui n’étaient « pas de la nature et de la qualité que nous attendions, s’agissant d’un droit d’expression de l’opposition ».

Des élus – comme la députée socialiste des Deux-Sèvres Delphine Batho, règlement en main –, s’étaient insurgés vers la fin de séance nocturne devant l’impossibilité de s’exprimer sur certains sous-amendements, la présidente de séance, Danielle Brulebois (LRM) répliquant, visiblement un peu déboussolée, avoir « respecté le règlement ».

Nouvelle vice-présidente mais problèmes similaires mardi : le MoDem Jean-Louis Bourlanges (Hauts-de-Seine) s’est vite agacé d’être privé de temps de parole par Carole Bureau Bonnard (LRM) sur un amendement Nouvelle Gauche, au motif qu’il y avait « déjà eu deux prises de parole »« Je suis un parlementaire comme vous. J’ai demandé la parole », a avancé l’élu avant de quitter l’Hémicycle sous les applaudissements de certains de ses collègues, tandis que la vice-présidente glissait : « Ben, il part. »

Peu après, nouvel incident autour du vote à main levée d’un amendement. La vice-présidente a argué d’un micro défaillant pour dire que ses consignes n’avaient pas été entendues par certains. Le député constructif Philippe Vigier (Eure-et-Loir) et son collègue Olivier Dussopt (Ardèche, Nouvelle Gauche) ont contesté cette version et affirmé qu’elle n’avait pas respecté les règles. Dans un brouhaha généralisé, une suspension de séance a été demandée par les socialistes.

« Vraiment cela devient pénible », a tonné André Chassaigne (Puy-de-Dôme), chef de file communiste, reprochant une présidence des débats « incompréhensible ». Il a été rejoint, fait rare, par le LR Philippe Gosselin (Manche), qui s’est exclamé : « Ici, on n’est pas dans une phase d’apprentissage, on fabrique la loi. »

Limiter les activités de conseil, une usine à gaz ?

Quelles sont les nouvelles obligations des projets de loi « pour la confiance dans la vie publique » ? Après le cas de François Fillon qui avait créé une société de conseil une dizaine de jours avant le début de son mandat de député en 2012, Emmanuel Macron a voulu interdire aux parlementaires « d’exercer [de telles] activités » pour qu’ils ne soient pas « au service de quelques-uns ».

Pour tenir compte des censures du Conseil constitutionnel sur les interdictions générales, les textes prévoient que les parlementaires ne pourront pas acquérir une société de conseil, ni commencer une fonction de conseil en cours de mandat. Mais ils pourront poursuivre une telle activité si elle a débuté plus d’un an avant leur entrée en fonction. Ces dispositions seront examinées jeudi ou vendredi par les députés.

Dès mardi, ils ont voté la création, par l’Assemblée nationale comme par le Sénat, d’un « registre public » des déports – c’est-à-dire des cas où un parlementaire s’estimant en situation de conflit d’intérêts s’est mis en retrait. Les élus LR ont critiqué une « usine à gaz ».

Dans la soirée, l’Assemblée nationale a aussi interdit aux lobbies de rémunérer des collaborateurs parlementaires, via l’adoption surprise d’un amendement socialiste.

Le Sénat avait déjà ajouté l’obligation pour les candidats à l’Elysée d’une déclaration d’intérêts et d’activités. Et en commission, les députés avaient prohibé pour les parlementaires la fonction de lobbyiste pour le compte de certaines sociétés.

Si gouvernement et les députés LRM sont plutôt dans l’idée de s’en tenir aux limites actuelles, les propositions foisonnent dans d’autres groupes.

Arrêt de toute activité, plafonnement des revenus…

La socialiste Delphine Batho veut a minima l’interdiction absolue de l’activité de conseil. Quant aux députés Insoumis, ils demandent l’arrêt de toute activité professionnelle pour les parlementaires. Certains suggèrent, à défaut, un plafonnement des revenus annexes, comme aux c’est le cas aux Etats-Unis.

A gauche comme à droite, des députés ont tenté, mardi soir, en vain, de ne pas restreindre les mesures anti-conflits d’intérêts aux parlementaires, en élargissant certaines au gouvernement, voire à la haute administration. L’opposition a ainsi mené l’offensive pour limiter le « pantouflage » – passage du public au privé. Communistes et Insoumis ont critiqué un « refus de toucher à la finance, à la manière dont elle interfère dans la sphère publique ».

Les amendements sont « sans lien » avec le projet gouvernemental ou renvoient à des règles récentes pour les fonctionnaires, a opposé la ministre de la justice Nicole Belloubet. Et Bruno Questel (LRM) a regretté une « forme de surenchère » des autres groupes politiques.