« Celui qui dit “le conflit est fini” ment. Boko Haram est loin d’être mort », avait récemment confié au Monde Afrique Kashim Shettima, gouverneur de l’Etat de Borno, épicentre des activités du groupe islamiste dans le nord-est du Nigeria. Plus qu’une simple boutade de notable, ces propos avaient une dimension prémonitoire. En tout cas, depuis qu’ils ont été tenus, on assiste sur le terrain à un retour en force de Boko Haram.

Le premier signe majeur de cette nouvelle montée en puissance a été donné en mai, avec l’attaque d’une position de l’armée tchadienne dans le lit du lac Tchad. Neuf militaires ont été tués et plusieurs autres blessés. Au-delà du lourd bilan, cette offensive contre l’armée tchadienne a été perçue comme la preuve d’un regain de confiance dans les rangs de Boko Haram, que l’on disait défait militairement et minés par des querelles de chefs entre Abou Moussab Al-Barnaoui, Abubakar Shekau, Mamman Nur et Bana Blachera.

Entre-temps, il y a eu, comme autre indicateur de la résilience du groupe djihadiste, l’enlèvement spectaculaire, dans la nuit du 2 au 3 juillet à Ngalewa, dans le sud-est du Niger, de 39 personnes : 33 femmes et 6 garçons, dont on est toujours sans nouvelles.

Signe qu’ils ne se cachent plus, des éléments de Boko Haram procèdent depuis quelque temps, dans l’est du Niger, à des enlèvements de personnes qu’ils relâchent ensuite moyennant le paiement d’une rançon. « Les proches sont obligés de cotiser des milliers de nairas [la monnaie nigériane] puis d’aller les verser aux éléments de Boko Haram cachés non loin pour obtenir la libération de leurs parents », raconte un habitant de Diffa.

Comme pour attester de sa capacité opérationnelle retrouvée, la secte islamiste a multiplié ces jours-ci les attentats sanglants, notamment au Cameroun et au Nigeria : seize personnes tuées le 12 juillet à Waza, dans l’extrême-nord du Cameroun ; huit morts le 17 juillet à Maiduguri, dans l’Etat de Borno.

Relâchement de l’armée

L’élection de Muhammadu Buhari à la tête du Nigeria, en 2015, avait permis un retour en force du pays dans la stratégie régionale de lutte contre Boko Haram. Aussitôt installé aux commandes de l’Etat fédéral, le général à la retraite avait ordonné le transfert d’Abuja à Maiduguri de l’état-major opérationnel des forces engagées dans la traque des terroristes. Il avait également mis la pression sur les unités combattantes pour obtenir des résultats, tout en engageant la chasse à tous ceux qui, dans l’institution militaire et au plus haut sommet de l’Etat, ont détourné des milliards de dollars destinés à la lutte contre Boko Haram.

Le nouveau leadership nigérian a ainsi permis d’infliger des revers spectaculaires à Boko Haram. Le groupe djihadiste a perdu du terrain et ses éléments ont été obligés de se replier dans leurs derniers retranchements, comme la forêt de Sambisa, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Maiduguri. Des combattants ont également été contraints à la reddition au Nigeria, au Niger et au Tchad.

Ces acquis sont désormais menacés en raison de la conjoncture politique au Nigeria. Alors qu’elle semblait avoir accru son emprise sur les frontières communes avec le Cameroun, le Niger et le Tchad, l’armée nigériane manifeste un certain relâchement depuis le deuxième départ, en mai, du président Buhari pour Londres, où il séjourne depuis le début de l’année par intermittence afin d’y être soigné. Résultat : Boko Haram en a profité pour se réorganiser sur ses bases arrières au Nigeria, pour ensuite mener des raids éclairs dans les Etats voisins.

En dépit de la délégation de pouvoirs qu’il a formellement reçue de Muhammadu Buhari, le président intérimaire, Yemi Osinbajo, n’a pas la même autorité sur l’armée ni les mêmes exigences dans la gestion des deniers affectés à la lutte contre Boko Haram.

Une affaire personnelle

Au plan sous-régional, l’absence prolongée du président nigérian affecte les efforts laborieux de déploiement de la Force multinationale mixte (FMM), créée sous l’égide de la Commission du bassin du lac Tchad pour lutter contre Boko Haram. Buhari avait fait du démarrage de la FMM, comprenant des forces du Bénin, du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, une affaire personnelle, allant jusqu’à mettre sur la table 100 millions de dollars (environ 85 millions d’euros) pour financer ces opérations.

Le général à la retraite avait fait de la victoire contre Boko Haram le marqueur de son premier mandat. La maladie qui tient éloigné le président Buhari de son pays fait craindre aux Etats voisins un retour de la passivité qui avait marqué les années Goodluck Jonathan, son prédécesseur à la présidence.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, est l’auteur, notamment, de Niger : la junte militaire et ses dix affaires sécrètes (2010-2011), Paris, L’Harmattan, 2013.