Ismaïla Diop, chauffeur de taxi, en est à sa troisième tentative pour récupérer sa carte d’identité biométrique. Au centre socio-culturel du quartier Ouakam, à Dakar, il est midi, ce mardi 24 juillet, lorsqu’il ressort, le visage dégoulinant de sueur, du bureau où il pensait enfin obtenir ce document nécessaire pour voter aux législatives du dimanche 30 juillet. Raté. « J’ai perdu mon temps et mon énergie, on me demande d’aller au quartier Yoff, au bureau où je dois voter. Mais je ne vais pas y aller, la carte n’a qu’à rester là-bas. J’ai perdu assez de temps. Je suis ici depuis 9 heures, immobilisant mon taxi, mon unique gagne-pain », rouspète-t-il avant de reprendre le volant.

Comme Ismaïla, de nombreux électeurs sénégalais sont exaspérés par le retrait « hypothétique » de leur carte d’identité biométrique, à seulement quelques jours du scrutin. Face aux milliers de personnes qui ont pris d’assaut les centres de distribution, le ministre de l’intérieur a dû publier des arrêtés, en fin de semaine dernière, visant à fluidifier le retrait des documents. L’opération, initialement assurée dans les centres d’inscription, a été transférée aux bureaux de vote, et des commissions de distribution des cartes ont été mises sur pied, dans tout le pays, pour accélérer le processus. Avec une efficacité toute relative.

Après une visite du magasin de stockage du matériel électoral, lundi, le ministre de l’intérieur, Abdoulaye Daouda Diallo, a annoncé que le taux de retrait des cartes tournait autour de 70 % au plan national et de 60 % à Dakar, où sont inscrits près du quart des électeurs sénégalais.

Pas de report du vote

Avec l’adoption de cette carte d’identité biométrique, le Sénégal est le premier pays à mettre en œuvre les directives de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) visant à faciliter la libre circulation des 320 millions de citoyens de la zone. La carte d’électeur ayant été supprimée, les inscriptions pour obtenir le nouveau document tiennent désormais lieu d’inscription sur les listes électorales sénégalaises.

Le processus a démarré en octobre 2016. A l’époque, le ministre de l’intérieur assurait que le délai pour fabriquer et délivrer chaque carte serait de quinze jours. Mais les délais de délivrance se sont révélés plus longs et, dans certains cas, des citoyens ont reçu des cartes truffées d’anomalies.

La société civile sénégalaise a vainement appelé au dialogue entre le pouvoir et l’opposition pour la recherche d’une solution. C’est le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar (la coalition au pouvoir) qui a été le premier à mettre les pieds dans le plat. Lors d’une émission diffusée sur une radio locale, Moustapha Diakhaté a préconisé le report de « quelques jours des élections législatives, afin de permettre aux électeurs de disposer de leur carte et d’accomplir leur devoir civique dans les meilleures conditions de sérénité ». Avant d’être contredit, lundi, par le ministre de l’intérieur, qui a garanti que tout serait prêt le jour du scrutin.

Une déclaration qui sera elle-même démentie quelques heures plus tard par la présidence de la République. Le chef de l’Etat, Macky Sall, ayant saisi le Conseil constitutionnel sur la possibilité que les électeurs n’ayant pu retirer leur carte puissent voter avec d’autres documents : récépissé des cartes biométriques, ancienne carte d’identité, passeport ou permis de conduire.

Pour une frange de l’opposition, il n’en est pas question. L’ancien président Abdoulaye Wade, tête de liste de la Coalition gagnante Wattu Senegaal, ne veut entendre parler ni de report des élections, ni d’un éventuel recours à des pièces d’identité autres que la carte d’électeur et la carte nationale d’identité. Il demande aux représentants de sa coalition dans les bureaux de vote de s’y opposer. Plusieurs partis de l’opposition s’inscrivent dans la même dynamique, laissant planer de réelles incertitudes sur le déroulement du scrutin. En attendant la décision de la Cour constitutionnelle.