Il arrive avec deux heures de retard. Casquette rouge, jeans délavés, blazer couleur de treillis militaires, Mbuvi Gidion Kioko, dit « Mike Sonko », donne une conférence de presse matinale. Le candidat au poste de gouverneur de Nairobi (équivalent de maire) lors des élections générales du 8 août n’a pas fière allure. « Nous devons avoir de l’eau pure, en finir avec les embouteillages et la corruption », récite-t-il laborieusement. Les yeux cernés, il bafouille, se perd dans ses notes. Celui qui pourrait diriger sous peu l’une des principales capitales du continent a l’air de sortir du lit.

Mais le candidat n’a que faire des sourires amusés. A 42 ans, le sénateur de Nairobi n’en est pas à sa première provocation, loin s’en faut. « Enfant chéri des pauvres » ou « homme du peuple » pour les uns, « populiste assumé » ou « voyou » pour les autres, Sonko est l’un des politiques les plus populaires et les plus controversés du pays

Sonko, c’est d’abord un style. Une démarche balourde d’ex-détenu, les épaules rentrées. Un look « gangsta » bling-bling : chaînes, bagouses et chapeaux dorés, tee-shirt à tête de mort, coupe de cheveux fantaisiste, qu’il porte jusque dans les cérémonies officielles. Quitte à se faire expulser manu militari du Parlement, comme cela lui est déjà arrivé dans le passé.

Les Kényans raffolent de ses excentricités. Il y a quatre ans, le sénateur Sonko fut l’un des politiques les mieux élus du pays, obtenant 814 000 voix à Nairobi. En avril dernier, il a remporté haut la main les primaires du Jubilee, le parti au pouvoir, dans la capitale. Et en août, l’ogre Sonko ne compte faire qu’une bouchée du gouverneur sortant, Evans Kidero, au bilan médiocre et à l’administration corrompue.

Case prison

Mais derrière la fumée blanche des sondages, le nom de Sonko sent le soufre. Né à Mombasa en 1975, Mbuvi Gidion Kioko a grandi dans les quartiers pauvres du grand port de la côte. Très vite, il sert d’intermédiaire dans d’obscures ventes et reventes de terrain. Et, à 22 ans, passe par la case prison… dont il s’évade avant d’être rattrapé par la police.

À sa sortie, Sonko fait fortune en rachetant et en gérant des compagnies de matatus, les innombrables bus de Nairobi. Il se taille au passage une grande popularité dans les faubourgs populaires de l’est de la capitale. « Je payais les frais de scolarité des étudiants et j’offrais des transports gratuits aux familles », expliquera-t-il plus tard. Il gagne son surnom : « Sonko », « le boss » ou « le mec riche ».

Surfant sur sa renommée, il descend en l’arène politique et est élu sans difficulté député en 2010, avant de devenir sénateur. Pour remercier ses électeurs, le parlementaire inaugure ses « Sonko rescue teams » : une flotte de véhicules (ambulances, camions, 4x4, limousines…) mis à disposition de ses concitoyens 24 heures sur 24 pour transporter en urgence les malades à l’hôpital, débarrasser des ordures gênantes, emmener un marié pressé à l’église ou un corps encore chaud à la morgue.

Du clientélisme pur, « mais qui donne l’impression aux populations démunies de Nairobi que quelqu’un s’occupe enfin d’eux », dit Gabrielle Lynch, professeure à l’université de Warwick (Royaume-Uni) : « Sonko a une image d’homme efficace, généreux et accessible. Il est ainsi l’un des rares politiques dont la base électorale transcende les clivages ethniques. »

Mais selon ses adversaires, le business des minibus et les Sonko rescue teams ne seraient en réalité qu’une couverture pour des activités moins recommandables, à savoir le trafic de drogue. En 2010, le nom de Sonko figurait ainsi tout en haut d’une liste transmise par l’ambassade des Etats-Unis aux autorités kényanes et répertoriant six barons de la drogue du pays.

De l’eau dans son whisky

Sonko a toujours nié avoir participé au trafic. « Ma fortune vient de Dieu, je ne sais pas faire la différence entre du sucre et de la cocaïne », jure-t-il, arguant n’avoir jamais été condamné par la justice kényane et se disant prêt à laver son honneur devant les tribunaux américains. Mais depuis sept ans, les soupçons ne cessent de le poursuivre. « Les ambulances [de Sonko] parcourent toutes nos routes sirène au vent, de sorte que les gens pensent que la vie de quelqu’un est en danger, alors qu’en réalité elles vont distribuer de la drogue en vitesse », a récemment accusé son adversaire Evans Kidero.

L’homme, qui aime parader entouré de gardes du corps armés de fusil de gros calibre, effraie l’establishment nairobien. « En haut lieu, certains se demandent si Nairobi va tomber entre les mains d’un cartel », note l’analyste politique Dismas Mokua. Car on ne rigole pas avec Nairobi : la ville, qui rassemble un Kényan sur dix et représente 60 % du PIB national, demeure la « capitale » de l’Afrique de l’Est.

Sonko a donc mis de l’eau dans son whisky. Exit les bijoux qui brillent, le sénateur s’est rasé la tête et acheté des costumes. « J’ai grandi », jure-t-il aujourd’hui. Bon élève, il a passé en 2015 un diplôme universitaire en business et administration. « D’aucun disent qu’il l’a acheté… », sourit un observateur.

« Pour rassurer les argentiers, l’élite du Jubilee lui a imposé un colistier respectable », poursuit Dismas Mokua. Il s’agit de Polycarp Igathe, directeur impeccablement cravaté de Vivo Energy Kenya, qui servira de vice-gouverneur en cas de victoire. Aujourd’hui, les sondages donnent Mike Sonko gagnant. Mais son regard porterait déjà loin au-delà les hauts murs blancs de l’hôtel de ville de Nairobi. « Il a la popularité pour aller plus loin encore, soutient Dismas Mokua. Un jour, il pourrait même être candidat à la présidentielle. »