Vue de l’exposition de Delphine Gigoux-Martin, dans l’ancien tribunal de Lectoure. | photo.martagc

Rien n’est plus banal, pour un festival voué aux arts visuels, que d’investir des bâtiments patrimoniaux. Rares sont les manifestations de photographie et d’art contemporain à ne pas installer des expositions dans des palais, des chapelles ou des hôtels particuliers au riche passé. À Lectoure, l’Été photographique a adopté sans surprise cette ligne artistique mais en l’élargissant à des lieux symboliques qui témoignent de la disparition des services publics en milieu rural. Depuis quelques années, l’ancien tribunal et l’ancien hôpital accueillent ainsi des accrochages tout au long des deux mois que dure l’événement.

Car oui : Lectoure, petite ville de 3 700 habitants située à 35 kilomètres d’Auch et 100 de Toulouse, possédait, jusque dans un passé récent, son propre tribunal et son propre hôpital. La cité fut même sous-préfecture du Gers entre 1800 et 1926 avant que le gouvernement de l’époque – de Raymond Poincaré - ne vienne (déjà) procéder à des coupes administratives. Le plus cocasse dans l’histoire est que le premier financeur de l’Été photographique n’est autre, aujourd’hui, que l’État à travers le ministère de la culture.

« Vertige du quotidien », de Brodbeck & De Barbuat, à la Halle aux grains. | Lucie & Simon

Fondé en 1991 par le photographe François Saint-Pierre, le festival est partie prenante de la programmation du Centre d’art et de photographie de Lectoure, qui a été créé dans son sillage, deux ans après lui. L’idée de monter des accrochages dans des bâtiments publics désaffectés s’est imposée à l’aune des réformes nationales. Installé dans l’Hôtel de ville (lui-même l’ancien palais de l’évêché), le tribunal a cessé son activité en 2009, après la refonte de la carte judiciaire initiée par la garde des Sceaux Rachida Dati. L’hôpital – situé dans une des ailes de l’ancien château des comtes d’Armagnac – a lui fermé ses portes en 2014, dans le cadre d’un projet de fusion avec un établissement hospitalier voisin, à Fleurance.

Sylvain Wavrant a reconstitué un cabinet de curiosité dans une salle de l’ancien tribunal. | DR

Racheté par la mairie, l’édifice accueille aujourd’hui un collectif d’une vingtaine de brocanteurs au rez-de-chaussée. Il faut monter à l’étage pour découvrir une demi-dizaine de chambres laissées en l’état ou presque, avec les arrivées d’oxygène encore accrochées au mur. Une salle de bain, dotée d’un WC et d’une baignoire adaptés aux personnes à mobilité réduite, fait partie de la déambulation sensorielle mêlant vidéos, son et décors en bois découpé, proposée par la plasticienne Estelle Vernay. À Lectoure, l’Été photographique n’est pas consacré en effet à la seule photographie. La nomination en novembre 2016 d’une nouvelle directrice à la tête du centre d’art, Marie-Frédérique Hallin, a élargi le festival à l’art contemporain.

« Staging Silence », une vidéo de Hans Op de Beeck, dans la salle d’audience de l’ancien tribunal. | DR

Le visiteur le vérifiera en pénétrant dans la petite salle d’audience de l’ancien tribunal. Le lieu est lui aussi resté dans son jus, avec son prétoire usé, ses deux rangées bancs en demi-cercle, sa statue de Marianne, son papier peint à fleurs datant des années 1970, sa moquette tâchée et sa pendule de 2,50 m de haut, dont les aiguilles indiquent presque minuit (ou midi), l’heure du crime. Il n’est pas nécessaire de faire travailler beaucoup son imagination pour ressentir l’intimité qui présidait aux audiences : juges, accusés, avocats, public, tout le monde était au coude-à-coude.

Sur l’estrade, un grand écran a été installé. Y est projeté Staging Silence, une création du vidéaste belge Hans Op de Beeck dans lequel celui-ci recrée les paysages de son enfance en les façonnant, avec ses mains, à partir d’objets et de matériaux du quotidien (sucre, coton, bouteilles, carton…). Le film est en noir et blanc, rajoutant à l’atmosphère spectrale d’un espace qu’on ne serait pas surpris de voir peuplé de fantômes à la tombée de la nuit.

« Bal en soiré », de Stéphane Castet, à la Ceriseaie. | DR

D’autres lieux plus « classiques » hébergent l’édition 2017 de l’Été photographique : une ancienne aumônerie (siège du Centre d’art et de photographie), une halle aux grains de style néoclassique et la Cerisaie, une petite maison de fontainier juchée sur la point des remparts, dont le nom viendrait d’un dramaturge de passage ayant ramené de la terre du jardin de Tchekhov.

« Fiddler », de la série « Eisbergfreistadt », de Kahn & Selesnick. | DR

En tout, une petite vingtaine de photographes et d’artistes, choisis avec goût, sont exposés cet été à Lectoure : Delphine Gigoux-Martin, Brodbeck & De Barbuat, Laure Ledoux, Stéphane Castet, Sylvain Wavrant, Stéphane Thidet, Eva Borner, sans oublier le duo américano-anglais Kahn & Selesnick qui réinvente formidablement l’histoire véridique d’un iceberg ayant dérivé jusqu’à Lübeck par la mer Baltique en 1923, année de l’hyperinflation allemande. Une façon de nous rappeler que les questions de réchauffement climatique et d’économie dérégulée ne datent pas d’hier.

L’Été photographique de Lectoure, jusqu’au 24 septembre.