La Chine est en guerre contre les VPN, ces « réseaux privés virtuels », qui permettent de contourner la censure du web, et a trouvé un allié - contraint - de poids avec Apple. Samedi 29 juillet, les VPN qui étaient jusqu’alors proposés dans l’Apple Store chinois en ont tous été retirés. La Chine avait engagé depuis quelques semaines une guerre contre ces outils, mais il s’agit là, et de loin, de la mesure la plus radicale à ce jour.

Apple a confirmé avoir accédé aux demandes de Pékin. « Nous avons reçu l’ordre de retirer des applications de VPN en Chine, qui ne respectent pas les nouvelles régulations. Ces applications restent disponibles partout ailleurs. »

Grâce à une connexion à des serveurs dans différents pays du monde, les VPN permettent à leurs utilisateurs de se connecter sur des réseaux à l’étranger, rendant plus difficile le traçage des connexions tout en permettant d’échapper à la censure d’Internet en Chine. Dans le pays, la plupart des sites utilisés couramment en Occident sont interdits : Google, YouTube, Facebook, mais aussi beaucoup de médias, dont Le Monde.

Campagne pour « nettoyer l’internet chinois »

Le contrôle de la société et des médias s’est fortement resserré sous le règne du président Xi Jinping, au pouvoir depuis fin 2012. Mais l’année 2017 est particulièrement tendue en Chine, en amont d’un important congrès prévu pour l’automne, qui doit confirmer le président pour un nouveau mandat et renouveler une partie des plus hauts dirigeants chinois.

La société Express VPN, l’un des leaders du marché pour la Chine, a dénoncé sur son blog, samedi, l’attitude d’Apple qu’elle juge « surprenante et regrettable ». « Nous sommes déçus par ce développement qui représente la mesure la plus drastique prise par le gouvernement chinois contre les VPN. Nous sommes par ailleurs troublés de constater qu’Apple aide la Chine dans ses efforts de censure », a expliqué le fournisseur de VPN.

Les autorités chinoises s’étaient déjà attaquées régulièrement à des services de VPN, mais plutôt à ceux proposés par des entreprises chinoises, à très bon marché. Jusqu’ici, les services plus performants, coûtant environ 8 dollars par mois, comme Express VPN, Astrill, Star VPN, avaient été épargnés.

Les VPN offrent une bouffée d’air aux expatriés, mais aussi à de nombreux chinois : les jeunes anglophones, les Chinois libéraux en quête d’informations fiables, ou encore nombre d’entreprises et de laboratoires de recherche qui suivent l’actualité internationale dans leurs domaines et collaborent avec leurs homologues étrangers.

Annoncée début 2017, la campagne gouvernementale pour « nettoyer l’internet chinois », s’est attaquée aux VPN en juillet. Les opérateurs de télécommunications chinois ont reçu l’ordre de suspendre le service de plusieurs VPN « non autorisés ». Mais les conditions pour obtenir une licence ne sont pas claires, et Pékin semble bien en guerre contre tous les opérateurs de VPN.

Le ministère de l’industrie et des technologies de l’information a voulu rassurer les entreprises, mardi 25 juillet, précisant que les VPN internes utilisés par les grands groupes pourraient continuer à fonctionner, à condition de recevoir des autorisations. Ces circuits indépendants proposés par les grandes entreprises publiques de télécoms coûtent plus de 1 000 euros par mois.

Apple sous pression en Chine

La collaboration d’Apple avec le régime autoritaire chinois a suscité des critiques. Certains ont notamment fait le parallèle avec la position adoptée par le champion de l’informatique américain face aux demandes du FBI : Apple avait refusé d’ouvrir l’accès aux données cryptées de certains suspects dans des enquêtes en 2016.

« Nous avions envoyé un amicus brief (une contribution volontaire) pour soutenir Apple lors de sa bataille avec le FBI au sujet de l’accès aux données cryptées. Nous sommes extrêmement déçus qu’Apple ait cédé à la pression de la Chine », a ainsi déclaré, au New York Times, Sunday Yokubaitis, le président de Golden Frog, dont l’outil VyprVPN a été supprimé de l’Apple Store chinois. « Nous voyons l’accès à l’internet en Chine comme une question de droits humains, et je m’attendrais à ce qu’Apple privilégie les droits humains plutôt que ses profits », a-t-il ajouté.

En ne coopérant pas avec la Chine, Apple mettrait en danger ses activités dans le pays. La Chine sait frapper les grandes entreprises étrangères, par exemple avec des enquêtes pour pratique anti-compétitives arrivant à point nommé (Microsoft en a fait l’expérience en 2014 et 2016), quand celles-ci ne coopèrent pas, ou font de l’ombre à la concurrence locale.

Dans une moindre mesure, Apple avait déjà goûté à la censure de Pékin en avril 2016, forcé de fermer ses services de livres électroniques, iBooks, et de films, iTunes Movies. En vertu d’une nouvelle loi de protection des données, qui a pris effet en juin 2017, les entreprises opérant sur le territoire chinois sont désormais tenues de conserver leurs données dans le pays, et de les tenir à la disposition des autorités sur demande. La semaine dernière, Apple a annoncé la construction d’un data center dans le sud de la Chine pour se mettre en conformité avec ce nouveau texte.

Apple est en difficulté en Chine, qui constituait son deuxième marché en 2015, aujourd’hui dépassé par l’Europe. Le pays continue de représenter un cinquième des revenus du groupe, malgré une baisse de 14 % au premier trimestre. Mais la marque à la pomme souffre depuis plus d’un an face à la montée de marques locales, comme Huawei, Oppo ou Vivo, proposant des smartphones de qualité pour une fraction du prix d’un iPhone.