Documentaire sur Toute l’Histoire à 19 h 15

En russe, Gary signifie « Brûle ! » et Ajar « Braises ». Au soir de sa vie, Roman Kacew, alias Romain Gary, alias Emile Ajar, n’aura été que cendres. ll fut un géant aux pieds d’argile, un ogre qui s’est mul­tiplié par besoin vital puis s’est dévoré. Comment même exister lorsqu’on ne s’appartient plus, qu’on se sent dépossédé de sa propre identité ? Unique dans l’histoire de l’édition, l’histoire de Romain Gary, qui obtint deux fois le prix Goncourt – Les Racines du ciel en 1956 et La Vie devant soi, en 1975 (Gallimard) sous le pseudonyme d’Emile Ajar­ – n’est pas qu’un tour de force, une supercherie littéraire destinée à subvertir un cénacle de jurés et à faire oublier sa réputation de baroudeur gaulliste.

Davantage qu’un portrait, ce documentaire de Philippe Kohly tient de l’enquête de personnalité. Dès sa naissance en 1914 à Vilnius (Lituanie), Roman Kacew a connu l’exil six années durant avant de retourner dans sa ville natale. Il s’est inventé un géniteur, le plus célèbre acteur russe de l’époque.

Portrait d'archives daté de novembre 1945, de l'écrivain français Romain Gary, en uniforme militaire, signant des autographes sur ses photos. | PIGISTE / AFP PHOTO

Différente est la réalité. En 1921, lui et sa mère Mina ont été abandonnés par le père et époux, fourreur de profession, parti fonder une autre famille, laquelle sera ­décimée par les nazis. « Je suis le ­fils d’un homme qui m’a laissé toute ma vie en état de manque », confiera l’écrivain dans Pseudo.

Mère et fils reprennent la route. Ils font une escale de plusieurs années en Pologne, où ils sont en butte à l’antisémitisme et aux brimades. En 1928, les voilà à Nice. La mère, ancienne comédienne, va y tenir un hôtel. Troisième langue et nouvelle vie. Ce sera celle que Mina, la mère tant aimée rêvait pour lui : grand écrivain et diplomate. C’est avec elle que Roman Kacew forge son nom de plume, Romain Gary.

Lorsque Mina meurt, en 1943, ­le romancier traverse ce qu’il appelle une de ses périodes d’inexistence. Celles-ci reviendront à intervalles réguliers. Selon l’hypothèse émise dans ce documentaire, remarquable par sa facture et l’écriture de son commentaire lu par Anouk Grinberg, Gary aurait cherché à lutter contre l’effacement de son identité en se forgeant des doubles. Eclairant est, à cet égard, le ­témoignage de Paul Pavlowitch, ­le petit-cousin de Gary, qui a endossé le rôle d’Emile Ajar pendant sept ans. Gary s’est tiré une balle dans ­la bouche en 1980.

Romain Gary, le roman du double, de Philippe Kohly (France, 2010, 90 min).