Le député d’opposition, Juan Requesens, à Caracas (Venezuela), le 31 juillet 2017. | UESLEI MARCELINO / REUTERS

Que fera l’Assemblée constituante, convoquée par le président vénézuélien, Nicolas Maduro, et élue dans des conditions controversées dimanche 30 juillet ? Pendant la campagne qui a précédé et juste après le scrutin, le successeur de l’ancien président Hugo Chavez (1999-2013) a surtout insisté sur sa volonté de remettre de l’ordre dans les institutions. En d’autres termes, remplacer, mettre au pas ou purger les instances qui échappent au pouvoir, comme le Parlement, où l’opposition est majoritaire, et le ministère public, dirigé par la procureure générale de la République, Luisa Ortega, une chaviste dissidente. Celle-ci a déclaré, lundi, qu’elle ne reconnaissait pas la Constituante et a dénoncé « une ambition dictatoriale » de M. Maduro.

Le flou règne sur le programme envisagé de réformes de la Constitution promulguée par Hugo Chavez en 1999. « Cela dépendra du rapport de force à l’intérieur du chavisme, estime Francine Jacome, directrice de l’Institut vénézuélien d’études sociales et politiques (Invesp), à Caracas. Lors de la désignation du président et du bureau de l’Assemblée constituante, les fissures du pouvoir devraient apparaître davantage. »

L’inauguration de l’Assemblée, mercredi 2 août, n’est pas confirmée. Les 545 élus sont trop nombreux pour s’installer dans le petit hémicycle du Parlement, mais ils pourraient siéger dans le « salon elliptique » du palais législatif, ce qui serait une manière de narguer les députés de l’opposition. Lundi, un « collectif », un groupe paramilitaire du régime, en faisait le siège.

« Nous ne sommes pas les violents et n’avons pas d’armes, ce sont eux qui ont la force brute. Nous resterons en résistance », a affirmé le vice-président du Parlement, Freddy Guevara

« Nous allons nous défendre, a déclaré le vice-président du Parlement, Freddy Guevara. Mais nous ne sommes pas les violents et n’avons pas d’armes, ce sont eux qui ont la force brute. Nous resterons en résistance. » Alors que le taux de participation au scrutin est toujours contesté, Henrique Capriles Radonski, un des principaux dirigeants de l’opposition, a appelé lundi les Vénézuéliens à continuer de manifester.

La rivalité entre M. Maduro et le numéro deux du régime, le capitaine de réserve Diosdado Cabello, ancien président du Parlement, devrait se traduire par une dispute pour la présidence de l’Assemblée constituante. L’élu porté à la tête de la nouvelle institution, dont les pouvoirs sont illimités, aura obtenu le soutien de la majorité des 545 constituants. Le chef de l’Etat compte sur l’élection de la première dame, Cilia Flores. Celle qu’il appelle la « première combattante » garde la haute main sur le pouvoir judiciaire et sur la Cour suprême, qui n’a cessé de neutraliser l’action des parlementaires de l’opposition.

Comme le chef de l’Etat, M. Cabello possède son propre programme de télévision. Il a été le premier à se lancer dans la campagne pour la Constituante et à sillonner le pays. La promotion d’officiers à laquelle appartient cet ancien putschiste est désormais au sommet de la hiérarchie militaire, ce qui est un atout pour lui. M. Maduro, un civil qui préside un régime militaire, tire sa force et sa légitimité de Cuba, le principal allié idéologique du chavisme, où il a parachevé sa formation politique, avant de devenir le successeur désigné par Hugo Chavez au cours de son hospitalisation à La Havane.

Tractations secrètes

« A la tête de l’Assemblée constituante, Diosdado Cabello pourrait devenir le président de facto du Venezuela, souligne Francine Jacome. Maduro s’est peut-être tiré une balle dans le pied, car la Constituante aura des attributions supérieures à tous les autres pouvoirs, y compris la présidence de la République. » Pendant les tractations secrètes qui ont précédé le scrutin du 30 juillet, M. Maduro était disposé à remettre l’élection de la Constituante à une date ultérieure pour faciliter un accord avec l’opposition. En revanche, M. Cabello a refusé et a fini par l’emporter.

Dans les deux camps qui s’affrontent, des radicaux rejettent la recherche d’une solution négociée. Du côté du pouvoir, M. Cabello incarne cette aile intransigeante, liée aux militaires impliqués dans les violations des droits de l’homme et dans les trafics de drogue ou d’armes. Dans le camp opposé, la contestation a trouvé une aile radicale dans les jeunes de la « résistance », parfois des adolescents, animés par la volonté d’en découdre avec les forces de sécurité. Plusieurs d’entre eux figurent parmi les 130 manifestants tués par balles depuis avril.

« Ils sont souvent étudiants, parfois grandiloquents, contre les partis politiques de tout bord et même contre la politique », assure la directrice de l’Invesp, qui n’exclut pas la présence d’« infiltrés ». Rien de comparable en tout cas entre un groupe au pouvoir lié à l’armée et une génération spontanée de radicaux munis de pierres et de cocktails Molotov, à l’image des black blocs. Pour ces jeunes activistes, « négociation » ou « dialogue » sont synonymes de trahison, surtout après l’échec des tentatives de médiation du Vatican, fin 2016. Ils veulent précipiter la chute du gouvernement Maduro.

Calendrier électoral

Or, les échéances électorales restent sur la table d’une éventuelle négociation, dont l’agenda a été révélé par l’ancien chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, le 29 juillet. Cela concerne l’élection de gouverneurs suspendue en 2016, les municipales prévues cette année à une date incertaine et la présidentielle de décembre 2018.

Après avoir joué les intermédiaires entre le gouvernement et l’opposition, M. Zapatero désigne le calendrier électoral comme premier point d’un ordre du jour qui comprend la libération de prisonniers politiques, la restitution des attributions du Parlement, le respect des « principes de la République » par la nouvelle Assemblée constituante et des mesures d’urgence pour soulager la crise économique et sociale, avec l’aide internationale.

Le clash entre les deux camps ou la négociation d’une transition pacifique est encore une question de rapport de force, indépendamment de la communauté internationale, qui s’est montrée jusqu’à présent peu efficace. « Le scrutin de dimanche a marqué un pic de violence et de répression, avec quinze morts en un seul jour, du jamais-vu depuis avril, souligne Francine Jacome. L’opposition maintient la pression. Tout indique une augmentation exponentielle de la confrontation politique et des explosions sociales. L’évolution du Venezuela dépendra de ces conflits. » La Constituante n’est pas le fin mot de l’histoire.