L’incendie de la « jungle » de Calais, lors de l’évacuation du camp, le 26 octobre 2016. | Philippe Wojazer / REUTERS

Editorial du « Monde ». Il aura donc fallu que la plus haute juridiction administrative du pays mette toute son autorité dans la balance pour que soient entendues d’élémentaires évidences. Lundi 31 juillet, en effet, le Conseil d’Etat a jugé que les quelques centaines de migrants présents à Calais se trouvent dans « un état de dénuement et d’épuisement » inacceptable dans une démocratie digne de ce nom.

Suppression de l’accueil, traque des migrants, harcèlement des associations : tous les moyens ont été employés.

Et il a mis les points sur les i : l’absence de points d’eau, de douches ou de toilettes « révèle, de la part des autorités publiques, une carence de nature à exposer les personnes concernées à des traitements inhumains et dégradants » portant « une atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale ».

Cette décision constitue le plus cinglant des camouflets pour le gouvernement et la municipalité calaisienne. Depuis l’automne 2016 et l’évacuation de la « jungle », ce campement de fortune qui accueillit jusqu’à 9 000 personnes, l’obsession des pouvoirs publics nationaux et locaux était d’éviter à tout prix la reconstitution d’un tel bidonville. Suppression de tout dispositif d’accueil, traque incessante des migrants, harcèlement des associations qui s’efforcent de leur venir en aide : tous les moyens ont été employés.

« Atteinte aux droits fondamentaux »

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a eu beau dénoncer, le 14 juin, ces « atteintes aux droits fondamentaux les plus élémentaires », le tribunal administratif de Lille a bien pu ordonner à l’Etat, le 26 juin, d’améliorer en urgence les conditions d’accueil des migrants, le gouvernement a continué à faire la sourde oreille.

La décision du Conseil d’Etat est une aubaine pour le pouvoir exécutif : elle devrait lui permettre de sortir de l’impasse.

Pis, conjointement avec la mairie de Calais, il a fait appel de cette décision du tribunal que vient de confirmer avec éclat le Conseil d’Etat. Et tandis que le premier ministre, Edouard Philippe, déclarait le 12 juillet n’avoir « pas de solution immédiate » pour les exilés présents dans le Calaisis ou à Paris et près de la frontière italienne, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, demandait sans ménagement aux associations humanitaires d’aller « déployer leur savoir-faire ailleurs »

Il reste que la décision du Conseil d’Etat – assortie de l’injonction que des solutions soient apportées sous dix jours – constitue une aubaine pour le pouvoir exécutif : elle devrait lui permettre de sortir de l’impasse. En effet, pendant que les membres de son gouvernement affichaient leur fermeté, le président de la République tenait un discours fort différent.

Une stratégie condamnée à l’échec

Le 23 juin, Emmanuel Macron rappelait solennellement que « l’accueil des réfugiés est notre tradition et notre honneur » et il s’est fait plus précis, le 27 juillet à Orléans, déclarant que « la première bataille est de loger tout le monde dignement » et fixant l’objectif qu’il n’y ait plus, d’ici à la fin de l’année, « des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ».

Non seulement cette contradiction devenait intenable, mais l’attitude du gouvernement était condamnée à l’échec devant la situation chaque jour plus explosive faite aux migrants. L’annonce par le ministre de l’intérieur, le 31 juillet, de la mise en place de points d’eau dans le Calaisis et de la création, dans le Nord, de deux centres d’accueil et d’examen immédiat des situations des réfugiés démontre qu’il n’a pas laissé passer l’occasion de changer d’attitude.

C’est une bonne chose. Si la mise en demeure du Conseil d’Etat ne règle en rien la crise migratoire qui tétanise l’Europe, elle évitera d’ajouter l’indignité à l’impuissance. Du moins, on l’espère.