Célestin Mahinda est une vigie. Derrière ses lunettes rectangulaires à branches rouges, le directeur de l’Observatoire volcanologique de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a le regard étrangement fixe malgré un important strabisme. Depuis les flancs du mont Goma, cône gris planté au bord du lac Kivu, il observe les mouvements invisibles de la terre sur l’écran de son ordinateur et sur de grandes feuilles imprimées. De l’autre côté de la capitale du Nord-Kivu, l’ombre d’un trapèze gigantesque engouffre le ciel : le Nyiragongo, l’un des deux volcans actifs en RDC. Derrière, il y a le Nyamuragira, ainsi que six volcans endormis.

Costume noir et baskets

« Nous sommes stressés », confie Célestin Mahinda de sa voix douce et rieuse malgré tout. Il y a de quoi. Goma est située dans l’une des régions les plus vulnérables de la planète. D’un côté, les deux volcans, dont la dernière éruption remonte à 2002 : 44 morts officiellement, une ville coupée en deux, des quartiers ensevelis, des infrastructures ravagées. De l’autre, un lac saturé de dioxyde de carbone et de méthane, capable d’exploser. Et au milieu, coincée entre eau et lave, une ville de plus d’un million d’habitants, augmentant sans cesse.

Ici, l’activité sismique dépasse celle du Japon : la terre tremble une vingtaine de fois par jour, avec de fortes magnitudes. « Une éruption n’est pas forcément une explosion, explique Célestin Mahinda. Elle sera déclenchée par un tremblement de terre. Il est impossible de prévoir un séisme avec précision, on peut seulement délimiter les zones à risques. » A 53 ans, ce scientifique en costume noir et baskets répète inlassablement à la population et aux autorités qu’il faut « être vigilant » et « se préparer ». Il dit souvent que « l’éruption aura lieu, sans qu’on sache quand ».

C’est lui qui annonce les mauvaises nouvelles à la radio, comme lors du dernier séisme, en août 2015. Lundi 3 juillet, un exercice de simulation a eu lieu pour la première fois. Près de 11 000 habitants ont été rassemblés dans un stade et ont écouté les consignes d’évacuation. Mais le Cassandre de Goma est aussi Sisyphe poussant son rocher : la sirène d’alarme n’a pas été entendue et la circulation n’a pas été coupée. « On fera mieux la prochaine fois », se rassure-t-il.

Baptême du feu en 2002

Comment l’enfant de Kasandi, village des monts enneigés Rwenzori, est-il devenu le volcanologue le plus reconnu de RDC ? Le Nyiragongo et le Nyamuragira sont loin de Butembo, la ville de commerçants où il a grandi. « Ce n’était pas une passion. La communauté m’a choisi. C’est devenu un sacerdoce. » Après des études de physique à Bukavu, des chercheurs sont venus le chercher en pleine salle d’examen pour l’embaucher à l’Institut pour la recherche scientifique en Afrique centrale. Il se forme au Japon et fera son baptême du feu le 17 janvier 2002.

Ce matin-là, « ce que nous avions annoncé est arrivé », dit-il avec autant de fierté que de désolation. Car personne n’a écouté Cassandre. Ni la population, ni les humanitaires, ni les rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) qui occupaient Goma. Alors que les habitants se ruent vers la frontière avec le Rwanda et que des militaires pillent des maisons, Célestin Mahinda passe la journée à observer la coulée de lave qui traverse l’aéroport et descend jusqu’au lac. « Personne n’était préparé à l’époque. Notre crainte, c’est que ça arrive sans qu’on l’ait annoncé. »

Des éruptions volcaniques filmées par un drone
Durée : 01:00
Images : University of Bristol, Cambridge University and INSIVUMEH

Pour éviter la catastrophe, les 38 chercheurs de l’Observatoire, créé en 2009, multiplient les relevés. L’Etat ne paye que les salaires, que la dévaluation du franc congolais fait fondre comme peau de chagrin. La Banque mondiale finance les projets, les Nations unies mettent à disposition leurs hélicoptères. Célestin Mahinda veut être « le chef », « car dans la gestion des risques, il ne faut pas de porte-parole ». Un chef qui gravit rarement le volcan, faute de moyens, et qui voit l’une de ses six enfants abandonner ses études de géologie « car elle voit comment nous souffrons ».

« Les mythes ont disparu »

En 2002, les rebelles l’avaient accusé de fomenter une entrée des troupes de Kinshasa dans Goma. Quinze ans plus tard, des politiciens de la capitale lui ont reproché de préparer une attaque rebelle. Ce n’est pas ce qui va faire taire Cassandre, qui parle du Nyiragongo et du Nyamuragira comme de vieux copains : « Le volcan parle. Il faut observer comment il se comporte. » Son père faisait des offrandes aux montagnes pour conjurer les avalanches. « Je commence à comprendre ce qu’il faisait. Mais avec nos explications scientifiques, les mythes ont disparu. » Comme ceux racontant que le « Nina Wongo », traduit par les explorateurs blancs en « Nyiragongo », était une île détachée du lac Kivu, une mère portant un petit dieu sur ses épaules, ou encore le purgatoire des mauvais esprits.

L’Observatoire aura bientôt ses propres laboratoires, si les travaux se terminent. En dessous du poste de garde, sur un terrain de sable gris, des joueurs de foot s’entraînent sans voir l’ombre du volcan. Un drapeau jaune, signalant une activité « normale », flotte sur un panneau d’alerte. Au mur du bureau de Cassandre, une affiche dit : « Ne faites pas du bien si vous n’avez pas le courage de supporter l’ingratitude. »