Un coléoptère sur du ciste maraîcher dont la pollinisation a été perturbée par un éclairage artificiel nocturne, entraînant une moindre production de fruits. | Eva Knop, Université de Berne

C’est une menace supplémentaire pour les insectes pollinisateurs, déjà décimés par la destruction des habitats naturels, l’agriculture intensive, les pesticides, la dissémination d’espèces invasives et d’agents pathogènes, ou encore le changement climatique. La pollution lumineuse, elle aussi, pourrait mettre à mal leurs populations, avec des conséquences en cascade sur les écosystèmes terrestres. Ce « côté obscur » de la lumière est mis en évidence par une étude européenne publiée mercredi 2 août dans la revue Nature.

Une équipe de chercheurs de l’Institut d’écologie et d’évolution de l’Université de Berne (Suisse) et du Centre d’écologie et des sciences de la conservation de Paris (CNRS, Muséum national d’histoire naturelle, Université Pierre et Marie Curie) a pris comme terrains d’expérimentation quatorze prairies distinctes, situées dans les Préalpes suisses. Elle en a exposé sept, durant la nuit, à un éclairage artificiel, l’autre moitié de l’échantillon servant de témoin. Et elle a observé le comportement des pollinisateurs nocturnes, papillons ou coléoptères.

Les scientifiques ont d’abord constaté que les plantes des sites illuminés connaissaient une baisse de 62 % des « visites » de pollinisateurs, par rapport aux prairies vierges de pollution lumineuse. En se focalisant sur une espèce de plante locale, le cirse maraîcher (Cirsium oleraceum), ils ont ensuite montré que sa production de fruits diminuait de 13 %. Cela, alors même que cette plante recevait, la journée, un nombre inchangé de visites de pollinisateurs diurnes, comme les abeilles, les bourdons ou les mouches.

Réaction en chaîne

Ce n’est pas tout. « L’impact négatif de la lumière artificielle de nuit pourrait ne pas se limiter aux pollinisateurs nocturnes et aux plantes qu’ils pollinisent, mais se propager à la communauté des pollinisateurs diurnes », écrivent-ils. La réaction en chaîne est selon eux la suivante : la pollution lumineuse réduit le succès reproducteur des plantes sur lesquelles les insectes viennent se nourrir nuitamment, ce qui pourrait entraîner, par ricochet, une baisse des ressources alimentaires disponibles pour leurs congénères amateurs de soleil. « Les plantes et leurs pollinisateurs sont imbriqués dans des réseaux d’interactions complexes, où des perturbations peuvent se répercuter d’espèces en espèces », soulignent les auteurs.

Schéma illustrant les effets en cascade de la lumière artificielle nocturne sur les communautés de plantes et de pollinisateurs. Les flèches pleines indiquent des effets directs, les flèches en pointillés les effets indirects. Le signe se réfère à la nature attendue de l’effet direct ou indirect. L’effet négatif direct de la pollution lumineuse sur les communautés de pollinisateurs nocturnes se transmet aux plantes en diminuant leur succès de reproduction, ce qui se répercute sur les pollinisateurs diurnes en diminuant la quantité de ressources alimentaire à leur disposition. | Eva Knop

Cette étude est la première à braquer les projecteurs sur les conséquences directes et indirectes de la pollution lumineuse sur la pollinisation des fleurs. Un problème d’autant plus prégnant que la lumière artificielle de nuit se généralise toujours davantage, enregistrant une hausse de 6 % par an en moyenne dans le monde.

Or les pollinisateurs jouent un rôle crucial dans la production alimentaire. Selon un rapport de 2016 de la Plateforme sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), plus des trois quarts des principales catégories de cultures vivirières mondiales dépendent de la pollinisation, pour leur rendement ou leur qualité. Entre 5 et 8 % de la production agricole de la planète, représentant en 2015 une valeur marchande annuelle de 235 à 577 milliards de dollars (198 à 487 milliards d’euros), sont directement attribuables à la pollinisation animale.