La direction de la société britannique Deliveroo travaille avec 7 500 livreurs autoentrepreneurs en France. | Charles Platiau / REUTERS

A Bordeaux, depuis mardi soir 1er août, c’est la tournée des restaurants pour quelques dizaines de coursiers de la société de livraison de repas à domicile Deliveroo. Mais il ne s’agit pas pour les « bikers » de récupérer des repas à porter aux clients : ils demandent aux restaurateurs de les soutenir dans leur lutte contre les nouvelles modalités de rémunération imposées par Deliveroo à partir du mois de septembre qui, selon eux, les « précarisent davantage ».

La direction de la société britannique, qui travaille avec 7 500 livreurs autoentrepreneurs en France, a décidé de mettre en place ce qu’elle appelle « la convergence de la tarification » des bikers. Jusqu’à présent coexistent deux systèmes de rémunération des coursiers : ceux qui ont commencé après septembre 2016 sont payés 5 euros la course, alors que ceux qui avaient débuté avant cette date, soit quelque 600 personnes selon la direction, bénéficient d’un mode mixte à 7,50 euros de l’heure, auxquels s’ajoute un complément de 2, 3 ou 4 euros par livraison, en fonction de critères relatifs à la qualité de service. « On avait eu la promesse de Deliveroo que ces anciens livreurs resteraient libres de conserver ce système », rappelle Arthur Hay, ancien de Deliveroo et secrétaire général du syndicat CGT des coursiers à vélo de la Gironde. En réalité, ce choix va disparaître.

Le 27 juillet, les « anciens » ont reçu un appel de la direction pour leur annoncer un changement de système : tout le monde doit passer à 5 euros la course en signant un nouveau contrat. « Sinon on est virés », disent des coursiers. Selon Jérôme Pimot, fondateur de l’Union des livreurs à vélo engagés (U’Live), les « anciens » coursiers ont calculé qu’avec le nouveau système ils perdraient « 18 % à 30 % de leur revenu ».

« Un climat assez tendu »

A Lyon, une réunion a eu lieu mardi entre la direction et des livreurs, dans un « climat assez tendu », explique un participant.

« On nous dit qu’on gagnera plus avec le paiement à la course. Mais on a démontré que même ceux qui ne touchaient que 2 euros par livraison en plus des 7,50 euros de l’heure y perdront. Ça leur a un peu cloué le bec. »

A Bordeaux, la réunion, qui devait aussi être organisée le 1er août, ne s’est pas tenue faute d’accord sur le lieu. D’où l’idée de faire la tournée des restaurants. Pour les contestataires, avec la course à 5 euros, « peut-être que quelques-uns gagneront plus s’ils travaillent le soir le week-end », précise M. Hay. Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde : « On se bat déjà pour travailler car la direction a fait entrer trop de coursiers. »

Selon le syndicaliste, ceux qui avaient un fixe horaire plus 4 euros par commande « devront désormais réaliser 7,5 commandes par heure pour ne pas perdre d’argent, ce qui est impossible », selon M. Hay. Ceux qui percevaient seulement 2 euros par commande en plus du fixe horaire devront, eux, livrer « 2,5 commandes par heure pour ne pas y perdre. Ce qui est déjà très compliqué », estime le secrétaire général du syndicat CGT des coursiers à vélo de la Gironde. Pour lui, Deliveroo opère ce changement de tarification « pour faire partir les anciens et faciliter le management ».

Actuellement, ceux qui n’ont pas signé leur contrat de prestation selon les nouvelles conditions reçoivent e-mail sur e-mail les sommant de le faire.

Ce nouveau modèle de tarification a connu « un immense succès, affirme un porte-parole de la direction. Plus de 90 % de nos livreurs partenaires français ont déjà opté pour ce mode de tarification ». Ce qui inclut cependant les recrues arrivées depuis septembre 2016 qui, elles, n’ont pas eu le choix.

Réaliser plus de courses

Pour le porte-parole de Deliveroo, les pertes éventuelles de gain sont relatives. Elles ne concernent pas, en tout cas, ceux qui étaient à 2 euros la course en plus du fixe horaire, qui gagneront « autant ou légèrement plus ». Pour les autres, « c’est au cas par cas. Ce système va obliger les livreurs qui le veulent à se positionner sur les heures où il y a le plus d’activité ». Deliveroo affirme « travailler à améliorer l’algorithme pour que les livreurs aient le moins de temps d’attente possible au restaurant pour récupérer les repas et le moins de distance à parcourir ». Et puissent ainsi réaliser plus de courses. En tout cas, « on ne reviendra pas », contrairement à ce que demandent les livreurs de Bordeaux, sur la décision de généraliser le paiement à la course. A Lyon, la revendication est d’un tarif de 7,50 euros la course, au lieu de 5 euros.

Pourtant, pour M. Pimot, chacun est en réalité concerné, pas seulement les anciens. « Quand tout le monde sera payé à la course, prévoit le fondateur de U’Live, l’étape suivante, pour Deliveroo, sera de passer au mode free” », déjà en vigueur chez UberEATS. Un système sans planning, où chacun vient travailler quand il le veut – à la manière des chauffeurs Uber. Il suffira de se connecter à la plate-forme pour recevoir des courses. « Ce sera une pseudo-liberté, que Deliveroo monnaiera en abaissant le tarif de la course. C’est donc maintenant que tous les livreurs doivent se mobiliser », explique M. Pimot. « Le free n’est pas notre option aujourd’hui », affirme-t-on chez Deliveroo. Le bras de fer ne fait que commencer.