Photo, publiée par le ministère des pêches et océans canadien, d’une carcasse de baleine noire remorquée sur une plage de l’île du Prince-Edouard, le 28 juin. | Ministère des pêches et océans / MPO

Le cadavre flotte à la surface de l’eau, blanchi par la décomposition. Le ministère des pêches et océans du Canada (MPO), a annoncé, mardi 1er août, qu’il s’agissait du dixième corps sans vie d’une baleine franche de l’Atlantique nord retrouvé dans le golfe du Saint-Laurent depuis le début de l’été. Des morts inexpliquées qui inquiètent la communauté scientifique, alors que l’espèce est déjà classée par le Fonds mondial pour la nature (WWF) parmi les plus menacées, avec seulement 450 spécimens recensés.

Depuis le mois de juin, des nécropsies sont en cours pour déterminer les causes de cette surmortalité soudaine des baleines noires dans les eaux canadiennes, non loin de Saint-Pierre-et-Miquelon. Les résultats devraient être connus courant août pour les premiers corps repêchés, selon le MPO.

Clôture anticipée de la saison de pêche

Sans attendre ces conclusions, les associations écologistes ont déjà mis en avant la responsabilité des activités humaines dans cette « épidémie » meurtrière. Plusieurs cadavres présentent en effet d’importants signes de lésions et de chocs, laissant penser que des collisions avec des bateaux de pêche et des enchevêtrements dans les filets pourraient être à l’origine de ces morts.

Devant le tollé, le ministre des pêches, Dominic LeBlanc, a annoncé, fin juillet, la clôture anticipée de la saison de la pêche au crabe des neiges dans la zone sud du golfe du Saint-Laurent. « Les récents décès de baleines (…) sont sans précédent » et l’arrêt de la pêche « constitue une mesure importante pour remédier à la situation », a justifié le ministère. Une décision qui a suscité peu de remous dans la communauté des pêcheurs, puisque le quota alloué pour la saison était déjà réalisé à 98 % dans la zone, selon les médias canadiens.

Le ministre a également demandé aux pêcheurs de réduire leur vitesse dans les voies maritimes le long du chenal laurentien, entre les îles de la Madeleine et la Gaspésie, jusqu’au 30 septembre. Une somme de 56 000 dollars a également été allouée au projet Whales Habitat and Listening Experiment (Whale), qui vise à élaborer un système d’alerte à l’intention des marins, et qui peut éclairer les mesures à prendre permettant de réduire les collisions.

Des traces d’enchevêtrement sur 70 % des baleines

Des mesures saluées par les associations de défense des cétacés, qui n’ont de cesse de souligner la difficile cohabitation entre hommes et animaux. Selon le WWF, plus de 70 % des baleines noires portent des traces d’enchevêtrement dues à la présence de filets de pêche dans leur zone naturelle d’habitat.

La baleine noire a en effet la particularité de nager lentement et près de la surface, la bouche ouverte pour se nourrir. Une caractéristique qui lui avait déjà valu d’être décimée par les baleiniers avant l’interdiction de la pêche en 1935 – la population de baleines noires ayant déjà compté jusqu’à 10 000 individus au XIXe siècle.

Aujourd’hui, cette même spécificité « les rend vulnérables aux collisions et aux prises accidentelles », explique le biologiste Robert Michaud, directeur scientifique du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (Gremm). « Comme les cordes sont plus solides et le matériel plus lourd, les blessures des animaux sont plus importantes et plus durables », ajoute en outre à Radio Canada Scott Kraus, vice-président de l’aquarium de la Nouvelle-Angleterre.

Deux facteurs expliqueraient dès lors cette saison particulièrement meurtrière pour les cétacés : une plus longue saison de pêche aux crabes des neiges due à un quota plus important que les années précédentes, et l’arrivée plus précoce des mammifères dans la zone, du fait notamment d’une raréfaction de leur nourriture dans les eaux plus au sud.

Mettre en place des aires marines protégées

Ce n’est pas la première fois qu’un bras de fer s’engage entre acteurs économiques et défenseurs de la baleine noire, donnant quelques résultats concrets. Certains pêcheurs de homard du sud de la Nouvelle-Ecosse ont déjà mis en place, sur la base du volontariat, des nouvelles techniques de pêche qui réduisent les risques d’enchevêtrement ; en 2003, la chercheuse Moira Brown avait, quant à elle, convaincu le groupe pétrolier canadien Irving Oil de déplacer son corridor de navigation dans la baie de Fundy pour éviter le secteur où les baleines s’attroupaient le plus ; en 2007, le corridor avait de nouveau été modifié sur le trajet menant au port américain de Boston.

« Depuis ces changements, il y a eu beaucoup moins de mortalité due aux collisions. Ce succès ne repose pas sur les biologistes, mais sur le travail des capitaines de navires », témoigne Moira Brown à Radio Canada. Dans la même logique, la communauté scientifique canadienne appelle ainsi à la mise en place en urgence d’aires marines protégées pour préserver l’espèce.