Loup Bureau, journaliste indépendant, arrêté en Turquie le 26 juillet 2017. | Twitter

Le bras de fer engagé par les autorités turques contre les journalistes occidentaux a franchi un nouveau cap. Après une semaine de garde à vue, Loup Bureau, journaliste indépendant français de 27 ans, a été mis en examen puis incarcéré pour « participation à un groupe terroriste », a-t-on appris auprès de ses proches et d’un de ses avocats, Me Martin Pradel. En ligne de mire des autorités turques : un reportage réalisé en 2013 pour TV5 Monde, auprès de combattants kurdes en Syrie, classés organisations « terroristes » par la Turquie, qui les combat militairement.

L’inculpation de Loup Bureau s’inscrit dans une série d’arrestations arbitraires de journalistes occidentaux sur le sol turc. En novembre 2016, le reporter Olivier Bertrand, cofondateur du site Les Jours, a été arrêté alors qu’il effectuait un reportage dans la région de Gaziantep. Détenu par la police turque entre le 11 et le 13 novembre, il a finalement été expulsé vers la France sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.

Huit mois plus tard, le photographe français Mathias Depardon, installé à Istanbul depuis cinq ans a, lui aussi, été arrêté, à Hasankeyf (région de Batman), dans le sud-est à majorité kurde du pays, parce qu’il travaillait sans carte de presse. Malgré un ordre d’expulsion notifié peu après son arrestation, le journaliste a été maintenu un mois en détention avant d’être chassé.

Un avocat mandaté sur place

« Cette fois, la situation est bien plus alarmante : Loup Bureau est inculpé. Il est formellement mis en cause par les autorités turques qui emprisonnent en masse les journalistes qui souhaitent faire preuve d’indépendance en parlant de la guerre que mène la Turquie à sa frontière syrienne », estime Me Pradel, qui a mandaté un avocat sur place pour réclamer la libération du journaliste, lors d’une nouvelle audience qui doit se tenir dans les prochains jours.

Le ministère des affaires étrangères fait savoir qu’il suit « avec la plus grande attention la situation » de Loup Bureau : « L’ambassade de France à Ankara est en contact avec les autorités locales, afin de pouvoir exercer au plus vite la protection consulaire », précise un porte-parole du ministère.

C’est devenu son rituel depuis cinq ans. Chaque été, Loup Bureau prend des billets d’avion pour un périple en solitaire, dans une zone de conflits. Une frontière, toujours. Après les zones tribales du Pakistan, l’Egypte lors du « printemps arabe », l’Est ukrainien à la lisière de la Russie, le jeune homme, en master de journalisme à Bruxelles et déjà diplômé en journalisme à l’école de Lannion (Côtes-d’Armor), a pris la route de la Turquie le 17 juillet. Direction la frontière turco-irakienne pour rejoindre les populations kurdes prises entre deux pays, entre deux guerres.

« La plupart de ses reportages portent sur la vie des gens dans des zones frontalières. Il voulait faire un article sur la vie des populations autour de ces frontières, en allant du côté turc et du côté des Kurdes irakiens », rapporte son père, Loïc Bureau, professeur d’histoire-géographie. Le 26 juillet, dix jours après son arrivée en Turquie, le journaliste, qui s’était déjà rendu une fois dans le pays en tant que touriste, a été arrêté, à Silopi, dans la province de Sirnak, frontalière de l’Irak et de la Syrie.

« Il s’est vu reprocher le fait de travailler sans autorisation en Turquie », rapporte son père, qui a pu l’avoir « deux minutes » au téléphone mardi. « Nous ne sommes pas dupes, la seule raison pour laquelle Loup Bureau a été interpellé, c’est parce qu’il est journaliste », estime Me Pradel, qui rappelle qu’un an après la tentative de coup d’Etat « la Turquie vit une série d’épreuves institutionnelles et souhaite garder un contrôle extrêmement important sur les médias ».

Appareil photo à l’épaule, aux côtés des combattants du YPG

Les autorités turques découvrent alors que Loup Bureau, qui a étudié l’arabe pendant un an à l’Institut français du Caire, a réalisé par le passé un reportage au nord de la Syrie, auprès des populations civiles kurdes ayant fait le choix de s’engager aux côtés des combattants du YPG, qui luttent contre l’Etat islamique. Une enquête diffusée par TV5 Monde en 2013 et accessible en Iigne. Sur une photographie publique publiée sur son profil Facebook, le jeune homme apparaît, appareil photo à l’épaule, en compagnie des combattants du YPG.

« Contrairement à ce que l’on peut lire dans la presse, ce n’est pas cette photo qui est mentionnée dans l’acte d’accusation visant Loup Bureau, mais seulement le reportage », fait savoir le conseiller du jeune homme, qui précise que, dans la législation turque, l’accès au dossier est restreint dans des affaires de terrorisme.

Mardi, après une première audience devant un tribunal, le jeune homme a été incarcéré pour une durée de sept jours. La loi turque prescrit qu’au terme de cette semaine de détention le dossier du prévenu soit une nouvelle fois examiné. Un avocat mandaté par Me Pradel doit se rendre jeudi 3 août à la prison de Sirnak, où Loup Bureau est incarcéré depuis mardi. « Nous allons demander sa libération. On ne veut surtout pas que la situation soit celle d’un maintien en détention », prévient Me Pradel, qui envisage différents recours (appel, Cour européenne des droits de l’homme, mécanisme onusien) si la demande de libération n’est pas acceptée.