Consultation ophtalmologique dans un train ambulant en Afrique du Sud, en mars 2017. | JOHN WESSELS / AFP

Dans le monde, 36 millions de personnes sont aveugles, et leur nombre pourrait bondir à 115 millions en 2050. Dans le même temps, le nombre d’individus avec une « déficience visuelle modérée à sévère » devrait, lui, passer de 217 millions à 588 millions. Ces estimations sont issues d’une vaste étude internationale, publiée en ligne dans la revue The Lancet Global Health le 2 août. L’ophtalmologiste britannique Rupert Bourne (université Anglia Ruskin, Cambridge) et ses collègues se sont appuyés sur les données de la littérature publiées entre 1980 et 2015, soit au total 288 études portant sur 98 pays. Ils ont ensuite appliqué un modèle mathématique pour prévoir leur évolution en 2020 et 2050.

Cataracte (la première cause de cécité dans le monde), trachome (infection de l’œil par la bactérie Chlamydia Trachomatis), atteinte rétinienne liée au diabète, glaucome, dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), maladies génétiques… De nombreuses pathologies de natures très différentes peuvent altérer l’acuité visuelle, voire conduire à la cécité. Même une détérioration modeste des performances visuelles peut avoir un effet délétère sur la qualité de vie et réduire l’autonomie d’une personne. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 80 % de l’ensemble des déficiences visuelles peuvent cependant être prévenues ou guéries, et environ 90 % des personnes atteintes vivent dans des pays en développement. Face à ces enjeux, l’organisation onusienne a instauré un plan d’action mondial (2014-2019) intitulé « vers la santé oculaire universelle ».

Le Sud de l’Asie particulièrement touché

Les données publiées dans The Lancet Global Health, qui font suite à une première analyse portant sur la période 1990-2010, sont précieuses pour évaluer les effets de cette politique et adapter les moyens. S’ils n’ont pas détaillé les causes des atteintes de la vision, les auteurs se sont intéressés à leur sévérité, à leur répartition géographique, ainsi qu’au profil des personnes concernées.

En 2015, le plus grand nombre d’individus aveugles ou avec une déficience visuelle modérée à sévère se retrouve dans les pays d’Asie du Sud, de l’Est, et du Sud-Est. Pour la cécité, la prévalence globale va ainsi de 0,24 % en Australasie (Australie et Nouvelle Zélande) à 0,70 % dans le Sud de l’Asie.

Plus d’un patient sur deux (55 %) est une femme. Sans surprise, les personnes âgées sont les premières concernées. Les plus de 50 ans représentent 86 % des aveugles, 80 % des individus avec une déficience modérée à sévère, et 74 % de ceux avec une déficience cotée légère. Dans cette tranche d’âge, les taux de prévalence les plus élevés de cécité sont enregistrés dans des pays émergents, en Asie, mais aussi en Afrique subsaharienne et de l’Est. Dans ces régions du monde, 4 à 5 % des plus de 50 ans sont non voyants. C’est dix fois plus que dans les pays à haut niveau de vie. Cet écart important entre pays émergents et pays riches est observé pour les déficiences visuelles quelque soit leur niveau de gravité.

Quant au nombre de presbytes, les auteurs de l’étude l’évaluent au total à 1 milliard parmi les plus de 35 ans, dont 667 millions chez les quinquagénaires et plus.

Une tendance sur les 25 dernières années à la baisse, mais des prévisions sombres

Bonne nouvelle, la proportion d’individus touchés est plutôt à la baisse : entre 1990 et 2015, le taux brut de prévalence de la cécité est passé de 0,75 % à 0,48 % ; celui des déficiences visuelles modérées à sévères de 3,83 % à 2,90 %. Cette évolution positive est due à plusieurs facteurs : le développement socio-économique des pays pauvres, la mise en place de programmes ciblés de santé publique et un meilleur accès aux soins ophtalmologiques.

Les prévisions s’annoncent cependant sombres pour les prochaines décennies. Les déficiences visuelles étant plus fréquentes chez les personnes âgées, la baisse de prévalence ne suffit pas à compenser l’augmentation continue de la population et son vieillissement. Selon les calculs des chercheurs, un triplement du nombre d’aveugles et une multiplication par 2,7 des déficients visuels sont attendu pour 2050. Ces spécialistes soulignent toutefois les limites de leurs projections. La qualité et l’exhaustivité des données varient en effet selon les zones géographiques. Par ailleurs, la définition des déficiences visuelles n’est pas identique d’un pays à l’autre.

Face à l’épidémie annoncée de malvoyants, « nous devons prendre des mesures pour augmenter nos efforts actuels de prise en charge au niveau mondial, régional et national », préconise l’auteur principal, Rupert Bourne, dans un communiqué associé à l’article. Une stratégie d’autant plus pertinente que « les programmes pour améliorer la vision sont parmi ceux dont le retour sur investissement est le plus élevé », comme le rappelle ce médecin. De fait, ils sont relativement faciles à mettre en œuvre dans les régions en développement parce qu’ils sont peu coûteux, et nécessitent peu d’infrastructures. Et les pays récupèrent leurs coûts à mesure que les personnes rentrent dans la population active.