La prairie du Muret, le site principal de l’Eté de Vaour. | Anaïs Kervella

C’est l’histoire d’un yaourt à 40 000 euros. Il y a un an, le président socialiste du conseil départemental du Tarn, Thierry Carsenac, a été visé et touché par le jet d’une tarte au yaourt à la fin de son discours inaugural à l’Été de Vaour, un festival de théâtre burlesque et de musique gratuite se déroulant depuis plus de trente ans dans un petit village de 350 habitants du nord-ouest du département.

L’affaire fit grand bruit dans le Causse, et pour cause : six mois plus tard, les responsables de la manifestation apprenaient que la subvention habituellement allouée par la collectivité, d’un montant de 70 000 euros, ne serait que de 30 000 euros pour l’édition 2017. Cela fait cher l’entartage. Son auteur n’était pas un habitant de la commune mais un membre de la ZAD (Zone à défendre) de Sivens, située à proximité du projet controversé de construction d’un barrage sur un affluent du Tarn. Trente kilomètres séparent Vaour de Sivens.

De sombres nuages planèrent alors longtemps sur le devenir de ce festival à la convivialité contagieuse, dont le credo est de proposer des spectacles de qualité en milieu rural. Son origine remonte au milieu des années 1980 et à un spectacle donné sur une charrette par une troupe de clowns lillois, venue passer l’été au milieu d’une communauté hippie installée dans le village. L’idée d’un festival pérenne se formalisa l’année suivante à l’initiative d’habitants de Vaour. L’événement gagna vite en ampleur, avec l’aide des collectivités locales, autour d’un leitmotiv rassembleur : « Rire au pays ».

Le repas de la soirée de soutien au festival, mardi 1er août. | Anaïs Kervella

Peu éloigné formellement du lancer de tarte à la crème, le jet de yaourt à la face d’un élu ne fit pas rire grand monde sur place. Surtout pas les responsables du festival qui durent trouver des solutions pour compenser cette baisse de subvention et boucler leur budget (295 000 euros). La solidarité fonctionna à fond. Les autres collectivités augmentèrent leur participation, à l’image de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) qui la fit passer de 10 000 à 15 000 euros. La municipalité de Vaour, dont l’aide se limitait jusque-là à un soutien echnique, parvint à dégager 3 000 euros.

Les partenaires privés – un transporteur, une imprimerie, un producteur de vin… - rallongèrent également leur quote-part ; un appel à don sur une plate-forme de financement participatif rapporta 15 000 euros ; certains artistes proposèrent spontanément une baisse de leur cachet. Une soirée de soutien, enfin, autour d’un repas champêtre, mardi 1er août, à la veille de l’ouverture de la 32e édition, rapporta les derniers deniers manquants.

« Les gens ont compris que nous avons été pris en tenaille entre les zadistes de Sivens et les élus du département. Le problème, maintenant, est que l’élan de solidarité qui s’est constitué autour du festival cette année ne pourra pas se reproduire tous les ans », indique Clément Raviart, le tout nouveau président de l’association qui organise la manifestation. L’affaire du yaourt a en effet provoqué des bouleversements au sein du bureau de l’Été de Vaour. L’ancienne présidente, soupçonnée par les élus du département d’être trop proche des opposants au barrage de Sivens, a abandonné ses fonctions, difficilement cumulables par ailleurs avec le fait qu’elle réside à Toulouse. « Il fallait changer l’image de l’association », estime Clément Raviart, un menuisier charpentier de 30 ans vivant au village.

Le théâtre de la Commanderie, situé à l’extérieur du village. | Anaïs Kervella

Du côté du conseil départemental du Tarn, la coupe de 40 000 euros n’a jamais été justifiée au nom des restrictions budgétaires qui grèvent actuellement les finances des collectivités territoriales. Le coup de sabre correspond, en quelque sorte, au préjudice subi. « Il est normal de baisser sa subvention quand on ne se sent pas bienvenu quelque part. Notre partenariat ne peut pas se résumer à un rôle de tiroir-caisse », explique Laurent Vandendriessche (PS), le vice-président en charge de la culture de l’assemblée départementale. L’élu était présent à Vaour mercredi, pour le lancement du festival. Thierry Carsenac non : « Il craignait que sa présence soit prise comme une provocation. »

La compagnie Cridacompany, dans « Mama/Papa Carnaval ». | Anaïs Kervella

La majorité des autres membres de la commission culture ont répondu présents, eux aussi. Il y a un an, certains d’entre eux avaient proposé que la subvention soit carrément réduite à zéro. La poire fut finalement coupée en deux, compte tenu du fait que l’Été de Vaour bénéfice d’une autre subvention départementale, d’un montant de 10 000 euros, correspondant à des frais de communication (programmes, affiches…). « J’ai regardé les comptes de l’association et j’ai vu qu’elle avait de quoi tenir financièrement, poursuit Laurent Vandendriessche. Proposer une subvention totale de 40 000 euros était la seule solution que les 46 membres de notre assemblée départementale étaient en mesure d’accepter. L’émotion provoquée par cet incident a été très grande : entarter le président du conseil départemental, c’est entarter toute l’assemblée. »

Partie de diabolo dans la prairie du Muret, centre névralgique de l’Eté de Vaour. | Anaïs Kervella

L’élu en a surtout voulu aux organisateurs du festival de n’avoir pu assurer la sécurité des édiles en 2016. « On ne peut pas nous reprocher d’entraver une manifestation spontanée. Manifester est un droit, rappelle Clément Raviart Nous sommes tous d’accord, en revanche, pour dire que c’est aller trop loin l’an dernier. » Aucun incident, mercredi, n’est venu perturber la soirée inaugurale. Les élus, il est vrai, se sont bien gardés de prendre la parole en public. Trois opposants au barrage se sont contentés, eux, de distribuer des tracts pour dénoncer la baisse de la subvention départementale, sur le ton de la raillerie : « L’argent public servira-t-il bientôt à payer des villageois pour crier des vivats et agiter des petits drapeaux lors des sorties officielles ? »

L’affaire pourrait ne plus en être une d’ici quelques mois. « Je présenterai prochainement un rapport pour refaire le point sur l’Été de Vaour, précise Laurent Vandendriessche. Je ne sais pas ce que décideront mes collègues. Mon souhait personnel est que nous revenions au niveau normal de prestation. » « Nous avons besoin du soutien des collectivités, appuie de son côté Clément Raviart. L’argent du département n’est pas de l’argent perdu : 30 % des sommes dépensées pendant le festival sont réinjectées dans l’économie du Tarn. Nous sommes aussi l’une des rares associations culturelles du département à compter des salariés [deux]. Nous lâcher serait une mauvaise idée. »

L’Été de Vaour, jusqu’au 6 août.