Vingt-trois ans après la fin du génocide des Tutsi rwandais, le rôle des autorités françaises continue de faire l’objet de graves accusations. Les plus récentes indiquent qu’en juin 1994, la France aurait livré des armes aux responsables des massacres, les forces gouvernementales rwandaises, qui s’apprêtaient à passer au Zaïre. Outre qu’à cette date personne n’ignorait que le génocide était consommé, le commerce des armes était interdit par un embargo de l’ONU décidé le 17 mai.

Aux accusations répondent des démentis indignés mais, en l’absence d’un accès total aux documents d’époque et d’une réelle volonté politique de faire le clair, l’établissement des faits et leur interprétation sont entravés. Conséquence : le débat stagne dans la polémique.

Nombreuses questions

Les questions sont pourtant nombreuses. Comment la France a-t-elle justifié ce soutien militaire ? Qui a donné l’ordre ? Pourquoi les buts de l’intervention française au Rwanda n’ont-ils pas été soumis à un examen démocratique et institutionnel ? Pour quelle raison la perception des dirigeants français sur le pouvoir hutu n’a-t-elle pas évolué avant, pendant et après les massacres ? L’essentiel a-t-il échappé aux dirigeants français ?

Au cours du génocide des Tutsi rwandais, des centaines de milliers de personnes ont été tuées, des familles ont été décimées, un pays a été rendu orphelin. Chaque jour, les massacres faisaient plus de 8 000 victimes ; un Srebrenica quotidien pendant cent jours !

Devons-nous accepter de passer ces questions sous silence au nom d’une realpolitik menée en secret par des responsables dont il faudrait maintenir l’héritage intact ? Faudra-t-il attendre que tous aient disparu pour pouvoir, enfin, connaître la vérité ? Journalistes, juristes, avocats, anciens officiers, membres d’associations ou simples citoyens, devons-nous nous taire, fermer les yeux et nous boucher les oreilles ?

Dossiers brûlants

En 2015, le président Hollande avait pris l’engagement d’ouvrir les archives de l’Elysée. Deux éclaireurs, prudemment délégués à un examen préalable, ont apparemment recommandé de refermer ces dossiers brûlants, à peine entrouverts.

L’ancienne ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti, ex-chargée de mission auprès de François Mitterrand et mandataire des archives de l’ancien président, a donné à différentes personnes, qui demandaient consultation des documents conservés aux Archives nationales, des autorisations ou des refus différents.

Une question prioritaire de constitutionnalité formée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir a été acceptée par le Conseil d’Etat et sera examinée par le Conseil constitutionnel à l’automne. La Commission d’accès aux documents administratifs vient enfin de se prononcer en faveur de la transparence, mais son avis n’est que consultatif.

En outre, de nombreuses archives restent interdites de consultation ou n’ont jamais été versées aux Archives nationales. C’est le cas des archives des conseillers militaires de François Mitterrand, de notes des services de renseignement et d’autres documents militaires déclassifiés pour la justice mais jamais publiés. Le même travail d’ouverture doit être fait pour les archives du Service historique de la défense qui concernent cette page d’histoire.

Au-delà des interdictions, les chercheurs sont régulièrement confrontés à des obstacles pratiques à la consultation (délais excessifs, interdiction de reproduire les documents même aux fins de recherche).

Ecrire l’histoire

Quelles que soient la gravité des faits et l’inconséquence des décisions, quelles que soient les personnalités touchées par ce que révélera l’histoire, il faut maintenant l’écrire. Sans la trahir et sans faillir. Le déroulé précis des événements est consigné, des notes ont été rédigées, des ordres transmis et exécutés… L’enchaînement des décisions et leur portée doivent être établis par des chercheurs ayant un accès libre à l’information ; c’est le préalable à une analyse lucide des événements et des responsabilités.

Plus de vingt-trois ans après les faits – l’âge d’une génération qui n’a pas oublié ceux qui ne sont plus là pour parler –, les citoyens français et rwandais ont le droit de connaître le rôle des autorités françaises dans ce génocide. Et le devoir de réclamer la vérité. Nous sommes ces citoyens et demandons l’ouverture immédiate et complète des archives.


Benjamin Abtan, président du Mouvement antiraciste européen EGAM, Guillaume Ancel, ancien officier de l’armée de terre, Mathilde Beaufils, étudiante travaillant sur ces archives, Philippe Bois, président du Club des vigilants, William Bourdon, avocat au barreau de Paris, Sarah Cheibany, étudiante travaillant sur ces archives, Aymeric Givord, membre de l’association Rwanda main dans la main, François Graner, membre de l’association Survie, Géraud de la Pradelle, professeur émérite de droit privé à Paris X-Nanterre, Elise Le Gall, avocate au barreau de Paris, Rafaëlle Maison, professeure de droit à l’université Paris-Sud, Catherine Sabbah, journaliste.