Mardi 8 août se tiendront des élections générales au Kenya. Quelque 19 millions de Kényans sont appelés aux urnes pour élire leur président, mais aussi leurs députés, sénateurs, gouverneurs et représentants aux assemblées locales. Dix ans après les violences post-électorales de 2007-2008, qui avaient fait 1 200 morts, chacun craint un retour des affrontements. Décryptage en six questions.

  • Qui sont les candidats à la présidentielle ?

Ils sont huit dans la course. Mais seuls deux comptent réellement : Uhuru Kenyatta, 55 ans, le président sortant, qui brigue un second mandat. Et Raila Odinga, 72 ans, le leader de l’opposition, qui mène aujourd’hui sa quatrième campagne présidentielle.

Les deux hommes se connaissent et se sont déjà affrontés en 2013. Ils sont les héritiers de deux dynasties structurant la politique kényane depuis l’indépendance. Leurs pères, Jomo Kenyatta et Oginga Odinga, furent respectivement les premiers président et vice-président du pays… avant de se déchirer, Odinga devenant (déjà !) le principal opposant au chef de l’Etat.

  • Quel rôle joue le facteur ethnique ?

Il est prépondérant. Au Kenya, la politique n’est pas une affaire d’idées mais d’alliances subtiles entre les 44 groupes ethniques (et innombrables sous-tribus) du pays.

Cette année, deux blocs s’affrontent : d’un côté Kenyatta, leader des Kikuyu (le groupe le plus nombreux du pays, 17 % de la population) vivant au centre du pays, sur les pentes du mont Kenya, alliés à la puissante tribu kalenjin (12 % de la population), majoritaire dans la vallée du Rift et fidèle au vice-président William Ruto. Le duo, baptisé « Uhuruto », est uni au sein d’un grand parti : le Jubilee.

En face, une coalition de partis regroupés au sein de la Super Alliance nationale (NASA), de Raila Odinga. Ce dernier est le chef incontesté des Luo, vivant au bord du lac Victoria (ouest, 10 % de la population). Il a en outre reçu le soutien des leaders des communautés luhya (à l’ouest aussi, 13 % de la population) et kamba (centre-est, 9,8 %). L’opposition est aussi majoritaire chez les Mijikenda de la côte (4,9 %) et les célèbres Masaï au sud (2 %).

  • Qui est le favori ?

La course est serrée. Les sondages les plus fiables donnent aujourd’hui Kenyatta à 47 % et Odinga à 44 %, avec seulement 5 % d’électeurs indécis. Mais la NASA dispose d’une bonne dynamique dans les sondages et rattrape peu à peu son retard sur le Jubilee. Sauf que plusieurs facteurs jouent en défaveur de l’opposition.

D’abord, la participation : les régions pro-NASA ont historiquement un taux d’abstention élevé – notamment sur la côte. Ensuite, la coalition est divisée, menée par cinq leaders différents qui se sont souvent affrontés dans le passé. De larges fractions des Kamba et des Luhya pourraient donc s’abstenir ou voter Jubilee. Enfin, Kenyatta, qui a gagné en popularité chez plusieurs tribus de l’opposition, comme les Somali (nord-est) ou les Samburu (nord), pourrait faire une percée chez elles.

  • Existe-t-il un risque de fraude ?

Oui. D’autant que l’assassinat, la semaine dernière, d’un haut responsable de la commission électorale (IEBC), Chris Msamdo, chargé de la logistique informatique du scrutin, a jeté une ombre sur la crédibilité de celui-ci.

En théorie, le système est hypersécurisé. Les 41 000 bureaux de vote disposeront de tablettes tactiles et biométriques fournies par l’entreprise Safran, qui permettront d’identifier les votants et de transmettre les résultats en un temps record via un système sécurisé par des géants de l’informatique tels qu’IBM, Dell et Oracle. Le tout sous le regard de centaines d’observateurs envoyés par l’Union européenne, les États-Unis ou l’Union africaine.

Tout dépendra donc de l’efficacité du système électronique. En 2013, celui-ci s’était effondré, créant de nombreuses incertitudes sur les résultats réels du vote. Au vu de l’état de tension dans le pays, une telle situation aurait aujourd’hui des conséquences incalculables. Car depuis des mois, l’IEBC est attaquée par l’opposition, qui critique son supposé manque d’indépendance. Elle ne peut pas se permettre la moindre erreur.

  • Des violences peuvent-elles éclater ?

La répétition d’un scénario « type 2007 » est peu probable. En effet, l’essentiel des violences avait opposé les Kikuyu et les Kalenjin. Or ces deux tribus sont aujourd’hui alliées au sein du Jubilee. Des affrontements sont cependant possibles entre Kikuyu et Luo, notamment dans les bidonvilles de Nairobi.

Par peur ou par précaution, des milliers de familles fuient aujourd’hui la capitale, embarquant dans des bus pleins à craquer, direction leur village natal. Pour faire face aux possibles violences, 180 000 policiers seront déployés le 8 août un peu partout au Kenya : ce sera la plus grosse opération sécuritaire de l’histoire du pays.

Mais les observateurs craignent surtout une multiplication des violences au niveau local. Du fait de la décentralisation du pays entamée en 2010, l’élection du gouverneur est aujourd’hui jugée plus importante que celle du président dans une bonne partie des 47 comtés du pays. Là, la compétition locale est devenue un véritable un coupe-gorge où tous les coups sont permis – meurtres et menaces inclus.

  • Combien coûtent ces élections ?

Très cher ! Selon un rapport du Trésor kényan, le scrutin pourrait même être l’un des plus onéreux jamais organisés en Afrique : 412 millions d’euros, soit 21 euros par électeur (contre 10 euros au Ghana, 4,40 euros en Tanzanie ou 0,85 euro au Rwanda).

Ce chiffre ne prend pas en compte les dépenses de campagne des candidats. Ces derniers voguent de meetings géants en rassemblements monstres (Kenyatta et Ruto en auraient effectué 830 en 70 jours !), transportés par une flotte hallucinante de dizaines d’hélicoptères. Ces super-campagnes coûteraient selon la presse autour de 40 millions d’euros pour un candidat à la présidentielle et 5 millions pour un gouverneur !

Kenya : « Election is coming »
Durée : 03:20