L’informaticien Bassel Khartabil Safadi, photographié à Séoul en 2010. | JOI ITO / WIKIMEDIA COMMONS

Noura Safadi a annoncé, mardi 1er août, la mort de son mari, le développeur informatique syrien Bassel Khartabil Safadi, disparu dans une prison de Damas en octobre 2015. Elle n’a pas précisé, dans son message publié sur Facebook, de quelle manière les autorités syriennes avaient fini par l’informer de sa mort, alors que ses proches demeuraient sans nouvelles de M. Khartabil depuis près de deux ans.

Pour une part de la rébellion syrienne, le couple avait quelque chose d’iconique : ils s’étaient mariés durant la première année de détention de Bassel Khartabil dans la prison d’Adra, en 2012. L’avocat et activiste Mazen Darwish, qui était alors lui aussi emprisonné à Adra, avait été leur témoin. Cependant, Bassel Khartabil, mort à 36 ans, n’était pas un militant politique au sens strict.

Ce passionné de technologie était à son aise derrière un écran, à bidouiller du code informatique, en lien avec une communauté particulière : celle de « l’Internet libre », qui rassemble des défenseurs de la gratuité en ligne, des militants de la libre circulation de l’information, des idées et de la technologie. Ce tout petit monde à l’époque, en Syrie et au Moyen-Orient, butte aisément sur la censure d’Etat. Bassel s’y distingue par son énergie, sa volonté d’entreprendre.

Création d’un « hacker space » à Damas

Il avait rejoint dès la fin des années 2000 le mouvement Creative Commons, qui adapte des modèles de licence, y compris libres de droits, aux droits de la propriété intellectuelle nationaux. Il collabore à Wikipedia et au moteur de recherche Firefox, parmi des milliers de volontaires, et noue des liens avec des développeurs étrangers lors de conférences au Liban et en Pologne. A Damas en 2009, il crée un « hacker space », un espace d’animation social dédié à l’informatique et au logiciel libre.

« Les gens en lançaient à l’époque un peu partout dans le monde », se rappelle le développeur américain Jon Phillips, qui l’aide dans son projet. Nous n’en revenions pas d’avoir réussi à faire venir à la soirée de lancement à Damas Mitchell Baker, l’ancienne patronne de Mozilla [le fabriquant de Firefox], et Joi Ito, le futur directeur du Media lab du MIT [Massachusetts Institute of Technology, aux Etats-Unis] » Après l’arrestation de Bassel Khartabil, son ami lancera une campagne pour le faire libérer, qui aura un large écho dans les milieux « tech » internationaux.

Bassel Khartabil, fils d’un intellectuel palestinien et d’une mère syrienne, diplômé en informatique de l’université de Riga, en Lettonie, se sent ouvert à l’étranger dans la capitale de Bachar Al-Assad, qui a succédé en 2 000 à son père, Hafez, et prétend ouvrir le pays. Il travaille pour un éditeur d’Etat, Al- Aous. il développe des sites Internet pour favoriser le tourisme, veut recréer l’antique Palmyre en ligne et discute d’Internet libre avec des officiels pas forcément hostiles.

Mais en 2011, tout change. Son savoir-faire, ses connections à l’étranger en font une cible pour les services de sécurité, qui répriment les manifestations de rue tout en laissant la grogne s’exprimer sur les réseaux sociaux, débloqués récemment, ce qui a pu permettre d’identifier des dissidents. Ils visent alors des blogueurs comme des journalistes, et pour la première fois des technophiles.

Emprisonné pour ses compétences

« Bassel a été l’un des premiers d’entre eux que nous avons vu désigné comme un danger par un Etat pour ses compétences », dit Danny O’Brien, directeur international de l’Electronic Frontier Foundation (EFF), une organisation de défense des libertés en ligne. « Il s’exprimait en ligne, il ne se cachait pas, mais il n’était pas une voix politique forte. Il était en revanche un contact fiable qui nous aidait à vérifier si les autorités avaient bloqué tel ou tel site. »

Ses amis étrangers l’encouragent à voyager avec eux : il se rend brièvement en Asie et y passe son temps accroché à son téléphone, à parler avec sa famille, dit Jon Phillips, avant de regagner Damas. La Syrie est désormais en guerre et il refuse de s’exiler. Un jour à Damas, près d’une manifestation, il est touché à la main par une balle de sniper. Terrifié, il envoie une photographie de sa main à son ami. Deux mois avant son arrestation, il écrit sur Twitter : « Ceux qui sont vraiment en danger ne quittent pas leur pays. Ils sont en danger pour une bonne raison, c’est pour cela qu’ils ne partent pas. »

« Personne ne savait alors à Damas ce qu’était la sécurité informatique : comment communiquer de façon sûre sans être suivis par les services de renseignement. Bassel a aidé à utiliser les bons outils », dit Husam Alkatlaby, directeur du Centre de documentation des violations en Syrie, basé en Suisse. Bassel Khartabil est arrêté dans le quartier de Mezze, à Damas, en mars 2012. Selon un proche cité par l’organisation Human Rights Watch, qui se saisit de son cas, il est détenu dans une prison du renseignement militaire pendant 9 mois, puis durant quelques semaines dans la prison militaire de Sadnaya, où il sera torturé. Transféré à la prison d’Adra, il pourra y être visité irrégulièrement et sous contrôle par ses proches jusqu’à sa « disparition ».