Les joueurs de Hiroshima Carp, en 2015. | JIJI PRESS / AFP

Le 6 août est un jour spécial pour l’équipe de « yakyu » (baseball) des Hiroshima Toyo Carp. Une rencontre est certes prévue cette année contre les Softbank Hawks à Yokohama (Sud de Tokyo). Mais les joueurs, surtout les natifs de la cité ciblée en 1945 par le premier bombardement atomique de l’histoire, auront une pensée particulière pour leur ville. « Pour nous, Hiroshima et les Carp ne font qu’un, explique le batteur Takahiro Iwamoto. Le lien avec la population est unique. Il n’a rien à voir avec celui des autres formations du baseball professionnel ».

Les joueurs, qui ont orné le 2 août leurs tenues d’une image du dôme de la bombe atomique à l’occasion de la « Peace Night », seront de cœur avec les habitants de la ville dont la journée aura commencé tôt le matin par une cérémonie pour le 72e anniversaire du bombardement, dans le parc entourant le granitique cénotaphe du mémorial pour la paix dessiné dans les années 50 par l’architecte Kenzo Tange. Comme chaque année, dans la chaleur moite de l’été nippon saturé du chant crissant des cigales, la population se sera recueillie en mémoire des 140 000 victimes et de la totale destruction d’Hiroshima.

« Il n’y avait plus rien sinon beaucoup de passion »

Un cataclysme auquel reste intimement liée l’équipe de baseball dont l’histoire s’identifie à la reconstruction de la cité meurtrie.

Créée en 1949, la formation connue pour son uniforme rouge et blanc, devait répondre à un « besoin d’espoir pour l’avenir, explique Izumiko Souda, du quotidien local Chugoku et spécialiste des liens entre Hiroshima et les Carp. A cause du bombardement, il n’y avait plus rien sinon beaucoup de passion ».

A Hiroshima, le baseball est populaire depuis la première rencontre qui s’y est tenue en 1889. Dès 1915, les établissements secondaires participent au « Koshien », le prestigieux championnat national des lycées. Certains y brillent comme le Hiroshima Shogyo. Cette école existe toujours. Takahiro Iwamoto en est diplômé.

S’appuyant sur cette culture et suivant la volonté locale de mettre en place une équipe à intégrer à la Central League (C-League), l’une des deux ligues professionnelles en création après la guerre avec la Pacific League (Pa-League), le natif du lieu Shuichi Ishimoto (1897-1982), entraîneur à succès, se lance dans l’aventure. Un nom est choisi : les Carp. « Les « colombes » ou les « arcs-en-ciel » ont aussi été évoqués, rappelle Mme Souda. Il s’agissait d’évoquer la paix ». Le choix des « Carp » viendrait du surnom donné au château de la ville, traditionnellement baptisé le « château des carpes ».

L’équipe du peuple

Mais il n’y a pas d’argent. « L’économie était dévastée. Il n’y avait plus d’entreprise pouvant financer l’équipe ». Au Japon, toutes les formations dépendent d’une grande société. A Tokyo, les Giants sont liés au puissant quotidien conservateur Yomiuri.

M. Ishimoto cherche des joueurs parmi ses amis vétérans. Il recrute des jeunes à peine sortis de l’école. « L’entraîneur Ishimoto m’a fait passer un test, a raconté en 2016 au journal Chugoku Minoru Hasebe, lycéen à l’époque et qui se préparait à aller travailler dans les mines de cuivre pour la reconstruction de la ville. Je l’ai réussi. Il m’a fait tamponner mon contrat sans que j’aie le temps de prévenir mes parents ».

Le département prête un terrain car il n’y a pas de stade. Les premières rencontres se jouent. « Les Carp étaient faibles mais les gens étaient contents », se souvient M. Hasebe.

« C’était vraiment « l’équipe du peuple »», s’émeut Akiyoshi Kageta, intarissable fan rencontré au musée Izumi de Hiroshima où se tient une exposition spéciale sur les Carp. M. Kageta avait huit ans en 1950. « Les salaires et les frais dépendaient des dons de la population. Comme il n’y avait pas d’argent pour les déplacements, les joueurs s’asseyaient par terre dans les trains ».

Premier titre en 1975

Pour les dons, M. Ishimoto installe deux barriques, l’une de saké et l’autre de shochu, à l’entrée du « stade ». C’est la naissance de la culture du « tarubokin » (littéralement, la « collecte de dons dans les barriques ») propre aux Carp.

Outre les maigres salaires et les transports, les dons financent en partie la construction d’un stade. L’équipe reste modeste mais persévère avec des joueurs essentiellement locaux. « Personne ne voulait venir jouer ici et les meilleurs joueurs d’Hiroshima étaient débauchés par les grandes équipes », se souvient M. Kageta.

En décembre 1967, les Matsuda, famille fondatrice de Toyo Kogyo, entreprise locale maison mère du constructeur automobile Mazda, s’engagent avec les Carp qui deviennent les Hiroshima Toyo Carp. Ecartée pendant la crise des années 70 de la tête de Mazda, la famille conserve la direction de l’équipe de baseball qui redevient une entreprise sans appui extérieur. « Mazda possède 34 % du capital des Carp, note Mme Souda, mais ne s’immisce pas dans les affaires du club ».

L’équipe s’améliore et finit par remporter son premier titre, champion de la C-League, en 1975, 30 ans après le bombardement atomique. « Ce fut le rêve du rêve, se souvient M. Kageta. On n’y croyait pas ». Le romancier Kiyoshi Shigematsu en a fait un livre, Akaheru 1975 (« Les casques rouges 1975 », Kodansha 2013).

Un nouveau stade en 2009

Plusieurs titres suivent jusqu’à la crise des années 1990-2000. Le yakyu connaît une période difficile dans tout le Japon. Il est question de fusionner les deux ligues et certaines équipes. A Hiroshima, on relance le tarubokin pour la construction d’un nouveau stade. « J’ai donné sans hésiter, se souvient Miki Usui, fan de toujours des Carp. L’équipe, c’est notre famille ». Présente au match du 1er août gagné 4 à 3 contre les Hanshin Tigers d’Osaka, elle porte un maillot du numéro 34 Masato Akamatsu, opéré d’un cancer en 2016. « J’espère qu’il pourra rejouer ».

A la fin des années 2000, une réflexion est engagée pour renforcer l’équipe et le marketing. Avec succès puisque les Carps remportent la C-League en 2016 et pourraient faire de même cette année. Le nouveau stade, le Mazda Zoom Zoom Stadium inauguré en 2009 fait le plein, notamment de jeunes femmes attirées, d’après Mme Usui, par le « charme des nouveaux joueurs. Avant, ils étaient un peu moyens ».

Et l’engouement perdure. Au musée Izumi, M. Kageta est venu avec Hikaru Yamasaki, 10 ans et très fier de se faire photographier devant une photo de son joueur préféré, Seiya Suzuki.

« Les Carp, c’est notre ADN qui se transmet de génération en génération, proclame Kuninori Shindo, le président de l’association nationale des groupes de supporters des Carp. Moi, je les suis depuis 45 ans. Mon père a vécu leur création. Quand il ne pouvait pas aller au stade, il écoutait les matches à la radio ».