Marcelo Bielsa en conférence de presse le 5 août. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Le public français l’avait perdu de vue depuis le 8 août 2015. Ce jour-là, Marcelo Bielsa démissionnait avec fracas de son poste d’entraîneur de l’Olympique de Marseille après un revers (0-1) concédé, au Stade-Vélodrome, face à Caen lors de la… première journée de Ligue 1. Nommé à la barre du navire phocéen à l’été 2014, adulé par les supporteurs de l’OM, l’éruptif coach argentin déclenchait alors un séisme sur la Canebière, justifiant son départ par un désaccord « d’ordre privé » avec la direction du club, alors que la prolongation de son contrat jusqu’en 2017 était quasiment bouclée.

Deux ans après cette stupéfiante abdication, « el Loco » (« le fou ») signe son grand retour en Ligue 1. Dimanche 6 août, Bielsa dirigera son premier match officiel sur le banc du Lille Olympique sporting club (LOSC) contre le FC Nantes de l’Italien Claudio Ranieri, lors de la journée inaugurale de la saison 2017-2018. Posté au bord de la pelouse du stade Pierre- Mauroy de Villeneuve-d’Ascq, l’insondable technicien de 62 ans devrait ainsi s’asseoir sur la fameuse glacière qui a fait sa légende à Marseille.

« Sourire en regardant les gens dans les yeux »

L’arrivée de Bielsa à Lille fait suite au rachat du club nordiste, en janvier, par l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois Gérard Lopez, ancien patron de l’écurie de formule 1 Lotus (2011-2015). En jetant son dévolu sur le LOSC, l’entrepreneur a pris la succession de Michel Seydoux, qui était le président et actionnaire majoritaire des Dogues depuis 2002. Soucieux d’ouvrir un nouveau cycle avec un entraîneur de renommée mondiale, le nouveau propriétaire frappe un grand coup en attirant d’emblée l’Argentin, qui signe, en février, un contrat de deux ans.

En attendant de succéder à Franck Passi, son ancien adjoint à l’OM, Bielsa peaufine son projet et découvre l’environnement du club. Discrètement, il assiste à des rencontres de l’équipe des moins de 19 ans et de la « réserve » du LOSC. Le 23 mai, l’entraîneur est officiellement présenté aux médias. Devant un parterre de journalistes conquis, Bielsa, tout miel, donne l’impression de rompre avec les aspects les plus sombres de son règne controversé à Marseille. « La première recommandation de ma femme lorsque je suis venu à Lille, c’est de sourire en regardant les gens dans les yeux, déclare, en espagnol, celui qui n’affrontait jamais le regard des suiveurs de l’OM lors des conférences de presse. C’est déjà une avancée significative sur le plan relationnel. »

Cette opération séduction suffira-t-elle à faire oublier les mauvais souvenirs laissés à Marseille par un entraîneur qui, en dépit de résultats honorables (4e place obtenue lors de la saison 2014-2015), fut décrié pour sa personnalité paranoïaque, ses méthodes dirigistes et sa propension à afficher ses désaccords en matière de recrutement avec le président phocéen Vincent Labrune ? D’autant que l’Argentin, réputé pour claquer la porte dès l’apparition du moindre différend, s’est distingué, à l’été 2016, en donnant son accord pour rejoindre la Lazio de Rome avant de se raviser.

« Au LOSC, on dialogue en permanence, assure Marc Ingla, directeur général des Dogues. Gérard Lopez, notre conseiller sportif Luis Campos, Marcelo Bielsa et moi parlons tous en espagnol. Les échanges sont fluides. Bielsa est un élément important de cette transformation du LOSC. C’est un coach spécial, un grand nom. Il apporte de nouvelles méthodes de travail. Le secret du succès, c’est d’être sur la même longueur d’onde et partager les mêmes valeurs sportives. »

Depuis son arrivée au domaine de Luchin, le quartier général du club nordiste, Bielsa fait souffler un vent de renouveau : départ de nombreux cadres, dont le capitaine Rio Mavuba, recrutement axé sur des joueurs sud-américains, rajeunissement de l’effectif, accent donné à la formation : le natif de Rosario a fait bouger les lignes au sein d’une équipe dotée d’un budget de 90 millions d’euros et privée de coupe d’Europe cette saison. « La faculté de Bielsa à former des joueurs va nous aider. On veut se projeter avec nos jeunes talentueux. On veut aussi proposer un jeu spectaculaire, offensif, très attractif pour le public en pariant sur les jeunes », développe Marc Ingla, qui veut « retrouver l’Europe » la saison prochaine.

Ancien directeur marketing du FC Barcelone (2003-2008), le numéro deux du LOSC reconnaît volontiers que son emblématique entraîneur, « par son aura », apporte une « valeur ajoutée en termes d’image ». Tête d’affiche de la formation nordiste et objet de curiosité permanent, Bielsa apporte surtout une dimension romanesque à Lille. Car le parcours tumultueux de l’ex-sélectionneur de l’Argentine (1998-2004) et du Chili (2007-2011) est jalonné d’anecdotes délirantes.

Technicien rigide, intransigeant et stakhanoviste

De son passage dans le championnat mexicain (1992-1996) à son mandat à la tête du club espagnol de l’Athlétic Bilbao (2011-2013), Bielsa s’est forgé une réputation de technicien rigide, intransigeant et stakhanoviste. Haine viscérale de la défaite, philosophie de jeu très esthétique, communication incontrôlable : le personnage exerce, malgré son maigre palmarès (trois championnats argentins remportés et une médaille d’or raflée avec l’Albiceleste lors des Jeux olympiques de 2004, à Athènes) une troublante fascination sur les mordus de football.

« Marcelo apporte à chaque championnat quelque chose de très différent : il aime le jeu et veut toujours donner aux gens le foot qu’ils aiment. Il ne cherche pas à obtenir un résultat, il essaye de montrer, à chaque match, pourquoi le foot est le sport le beau et le plus populaire dans le monde », estime Harold Mayne-Nicholls, ex-président de la Fédération chilienne de football, qui avait choisi Bielsa comme sélectionneur. Pour l’anecdote, le technicien, en bon ascète, avait exigé, lors de sa parenthèse chilienne, de vivre dans une chambre de 6 mètres carrés avec un écran plasma et un crucifix pour ne pas se laisser « distraire ».

A Lille, l’Argentin parviendra-t-il à garder la tête froide et à ramener les Dogues sur le devant de la scène ? « Je suis très heureux de faire partie de ce club. Il est très difficile d’imaginer de meilleures conditions de travail qu’ici », répète-t-il, d’une voix douce. Il faudra attendre un peu pour voir si Marcelo Bielsa, aujourd’hui plus ouvert et serein, a véritablement changé.