Alberto Contador, lors de l’étape La Mure - Serre-Chevalier, sur le Tour de France 2017, où il avait attaqué dans le col de La-Croix-de-Fer. / Benoit Tessier / REUTERS

Le 10 septembre, à l’issue du Tour d’Espagne, disparaîtra des pelotons Alberto Contador et, avec lui, le dilemme auquel les amateurs de cyclisme étaient confrontés depuis des années : que penser des envolées spectaculaires de ce chasseur de courses par étapes, vivant dans le déni de son contrôle antidopage positif de 2010 ?

Curieux télescopage de l’actualité : l’annonce, lundi 7 août, de la retraite d’Alberto Contador n’a suscité que des louanges et quelques larmes, quand le titre mondial sur 100 mètres du sprinteur Justin Gatlin, l’avant-veille, lui avait valu quolibets et huées. D’où vient que l’un ait eu droit au pardon et pas l’autre ?

La réponse est peut-être dans ces attaques létales et ce mouvement pendulaire, hypnotique, qu’« El Pistolero » semblait pouvoir enclencher quand il l’entendait, sur le braquet qu’il voulait, dans ses plus belles années. Il faisait ainsi grimper sa machine, traçant sur la route un chemin légèrement sinueux, ne se retournant qu’avec parcimonie, ce qui traduit une confiance en ses jambes qui dura jusque dans ses vieilles années. Sûrement la pédalée la plus esthétique du siècle débutant, si tranchante qu’elle fit parfois oublier son carburant.

Sa façon de pédaler a été saluée presque autant que sa façon de courir, sans compromission. Agé de 34 ans, le natif de Pinto, la banlieue sud de Madrid, préférait durcir la course que la subir et, lorsque son physique ne lui a plus permis d’écarter facilement la concurrence, il s’est résolu à des stratégies plus inventives et inattendues… au point que même ses attaques loin de l’arrivée sont devenues prévisibles.

Alberto Contador Best attack 2014 - 2015

Palmarès entaché

Contemporain de coureurs focalisés sur le Tour de France, comme Cadel Evans, Andy Schleck ou Christopher Froome, Contador s’est distingué par son obsession pour la victoire quelle que soit la course, de Paris-Nice en mars au Tour d’Espagne en septembre, ce qui rend la longévité de sa carrière d’autant plus épatante – quinze saisons professionnelles. Conséquence de ce goût du risque : il n’a jamais terminé sur les deuxième ou troisième marche d’un grand tour, mais neuf fois sur la première.

Neuf Grands tours remportés : le chiffre le placerait à la troisième place de la hiérarchie de son sport, juste derrière Eddy Merckx (11) et Bernard Hinault (10). Lui-même se place sur ce podium de géants, feignant d’oublier que la justice sportive lui a retiré le Tour de France 2010 et le Tour d’Italie 2011 pour dopage. Le voilà ramené à hauteur de Fausto Coppi, ce qui est sans doute bien suffisant.

Alberto Contador, entre son manager Bjarne Riis et son attaché de presse Jacinto Vidarte, lors d’une conférence de presse consécutive à sa suspension pour dopage, en février 2012. / JAVIER SORIANO / AFP

Ce contrôle positif de 2010 entache le reste de son palmarès. Il reste un mystère et a affirmé le sentiment victimaire d’Alberto Contador, trait de caractère dont il a fait une force. Des traces infimes de clenbutérol avaient été décelées sur le Tour de France 2010 par le laboratoire de Cologne, seul au monde à pouvoir, à l’époque, le détecter dans une quantité infinitésimale – 50 picogrammes par millilitre d’urine. Si un journaliste allemand n’en avait pas été informé, le contrôle positif n’aurait peut-être jamais été révélé.

Alberto Contador plaida la contamination alimentaire, affirmant qu’un bout de viande offert par un ami espagnol et dégusté le jour et la veille du contrôle contenait du clenbutérol – explication improbable s’agissant de viande espagnole. Dans son étude approfondie du cas, le Tribunal arbitral du sport (TAS) pencha pour la contamination par un complément alimentaire et le suspendit deux ans. Quant à l’Agence mondiale antidopage (AMA), elle émit l’hypothèse que la présence infime de clenbutérol soit la conséquence d’une transfusion sanguine avec une poche de sang prélevée en amont du Tour de France pendant une cure de ce produit vétérinaire.

De Manolo Saiz à Bjarne Riis

Quoi qu’il en soit, Alberto Contador était déjà, lorsqu’il fut suspendu en 2012, un miraculé de la lutte antidopage.

Entre 2007 et 2010, années durant lesquelles il produit ses meilleures performances physiques, l’Espagnol Jose « Pepe » Marti est son entraîneur attitré. Marti est actuellement suspendu jusqu’en 2020, l’enquête sur le dopage organisé à l’US Postal ayant établi qu’il était autant entraîneur que dealer – EPO, hormones de croissance, testostérone et cortisone – et médecin (injectant lui-même les produits dopants aux coureurs).

Avant d’intégrer l’équipe Discovery Channel, où il fit la connaissance de Pepe Marti et Johan Bruyneel, manager historique de Lance Armstrong, Alberto Contador a grandi dans la formation dirigée par Manolo Saiz, et s’est retrouvé dans les dossiers du docteur Eufemiano Fuentes, au centre du scandale de dopage sanguin dit « affaire Puerto ». Comme l’avait révélé Le Monde en 2007, son nom était cité à deux reprises dans le dossier d’instruction. Contrairement à d’autres coureurs, aucune annotation mentionnant la prise d’un produit dopant n’était accolée à son nom. Contador a toujours affirmé ne pas connaître Eufemiano Fuentes et son audition par le juge Antonio Serrano, en décembre 2006, fut expédiée en dix minutes.

Après Saiz et Bruyneel, Alberto Contador a mis sa carrière entre les mains du Danois Bjarne Riis. Au-delà de ces associations avec certains des personnages les plus sulfureux de l’époque, il y a ces performances restées dans la mémoire, qui fascinent autant qu’elles inquiètent. Des montées ultrarapides qui lui ont permis de devancer des coureurs dont on sait aujourd’hui qu’ils bénéficiaient d’un dopage sanguin.

La retraite quand on ne l’attendait plus

Alberto Contador à l’attaque devant le train du Team Sky, lors de l’étape Pau - Peyragudes du Tour de France 2017. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Le Contador de retour de suspension, malgré ses dénégations sur la question du dopage, s’est sans doute attaché plus de sympathie de la part du public en gagnant de façon moins aérienne mais plus spectaculaire. Son comportement en course et sa disponibilité en dehors lui vaut d’ailleurs d’être cité en modèle par de jeunes coureurs, preuve que son nom n’est plus associé, dans le milieu, à des pratiques interdites.

Il traîne dans le peloton une réputation de coureur obsédé par son métier, par la mécanique, résilient face aux sacrifices de l’entraînement – stages de trois semaines en altitude, comme à l’isolement. Renfermé, aussi, sur un clan circonscrit à son frère et agent, Fran Contador, son mécanicien Faustino Munoz, son équipier de toujours Jesús Hernandez et son attaché de presse Jacinto Vidarte. Ce qui n’alla pas sans histoire dans ses équipes successives.

Ces dernières années, dans un cyclisme corseté par la Sky et son leader Chris Froome au style inesthétique, la présence de Contador était l’espoir d’une course débridée, rendue aux individus : il était souvent isolé au sein de son équipe et ne se laissait pas dicter de tactique. Mais sa prestation lors du dernier Tour de France (neuvième à Paris), à la fois courageuse et pathétique par moments, a fini de convaincre, lui ou son équipe Trek-Segafredo, de la nécessiter d’arrêter là, après une dernière tournée en Espagne où son prestige est intact.

Ce faisant, Alberto Contador a encore pris tout le monde par surprise. Après avoir songé plusieurs fois à prendre sa retraite – notamment pendant sa suspension pour dopage –, puis l’avoir sérieusement envisagée pour fin 2016, El Pistolero a dégainé, alors qu’il envisageait de disputer une dernière saison, sans Tour de France, l’an prochain. Comme s’il avait fallu ce dixième Tour, où il fut nettement battu à la régulière, pour lui faire comprendre qu’un nouveau maillot jaune était illusoire. L’an dernier, dans une interview au magazine spécialisé ProCycling, il précisait :

« Le jour où j’arrêterai de penser que je peux gagner le Tour, je prendrai ma retraite. Je veux que le public garde de bons souvenirs de moi jusqu’à la fin, se souvienne de moi comme quelqu’un qui, même s’il n’a pas gagné ou n’en était pas capable, s’est quand même battu pour le faire. »