Elaine Thompson lors des séries du 100m, le 5 août. | David J. Phillip / AP

Les bruyants encouragements de la colonie jamaïcaine auront été vains. Vingt-quatre heures après la chute d’Usain Bolt, seulement médaillé de bronze, les drapeaux jamaïcains étaient de nouveau en berne au Stade olympique de Londres. Les nombreux supporteurs caribéens, dont la capitale britannique compte un important contingent, peuvent avoir le blues. Ils n’ont en effet plus de raison de pavoiser : leurs sprinteurs ne sont plus les plus rapides au monde.

Grâce à son doublé olympique sur 100 et 200 m l’an passé à Rio, Elaine Thompson avait gagné le surnom de « Bolt au féminin ». Dimanche 6 août, la sprinteuse jamaïcaine a poussé l’imitation de son prestigieux compatriote jusque dans la défaite. Nantie d’un temps de réaction catastrophique (0,2 seconde), à l’image d’Usain Bolt, elle n’a jamais été en mesure de jouer un rôle lors de cette ligne droite. « C’est une nouvelle grande déception pour le sprint jamaïcain, une vraie claque », lance Guy Ontanon, ancien entraîneur de Jimmy Vicaut.

« America is back »

Handicapée ces dernières semaines par une douleur au tendon d’Achille, malade avant la finale, Thompson ne s’est pas défilée devant la presse : « Je dois donner beaucoup de crédit à ces trois filles, que je félicite. Je n’ai pas réussi ma course ce qui est une honte mais je suis en bonne santé. J’ai besoin de revoir les images car je n’ai pas compris. »

Grande favorite du 100 m féminin, Elaine Thompson a complètement trébuché après avoir pourtant dominé les demi-finales et la saison entière. Elle termine cinquième, loin de sa meilleure performance mondiale de l’année (10’’98 contre 10’’71). La course, haletante, a été remportée sur le fil par l’Américaine Tori Bowie, qui a plongé sur la ligne pour devancer d’un centième l’Ivoirienne Marie-José Ta Lou. « Le plongeon m’a fait mal mais ça m’avait déjà sauvé dans des championnats par le passé. Je n’abandonne jamais avant qu’une course ne soit terminée », a déclaré celle qui est réputée pour son mental de battante.

A 26 ans, Tori Bowie succède à Carmelita Jeter, dernière Américaine titrée sur 100 m lors des Mondiaux 2011 à Daegu. Il faut remonter à l’édition 2005 à Helsinki pour trouver trace d’un doublé des Etats-Unis sur 100 m masculin et féminin. A l’époque, le médaillé d’or s’appelait déjà Justin Gatlin. Interrogée sur la domination jamaïcaine des années passées, Bowie, qui peut rêver vendredi prochain du doublé sur le 200 m, n’a affiché aucun goût de revanche : « Nous n’avons eu aucun mauvais sentiment à leur encontre, pas de pensées négatives. Nous avons été extrêmement concentrés sur nous-mêmes. »

Le plongeon victorieux de Tori Bowie. | JEWEL SAMAD / AFP

C’est son entraîneur Lance Brauman, ex-coach de l’Américain Tyson Gay et de la Jamaïcaine Veronica Campbell, qui a décidé de reconvertir cette sauteuse en longueur en sprinteuse. En 2014, elle émergeait au grand jour en réalisant 10’’80 au meeting de Monaco. L’année suivante, elle décrochait le bronze du 100 m des Mondiaux de Pékin. A Rio, elle s’offrait trois nouvelles médailles : une en or au relais, une en argent sur 100 m et une en bronze sur 200 m.

Après la victoire de Justin Gatlin et la médaille d’argent de Christian Coleman la veille, le vieux slogan des années Reagan est plus que jamais d’actualité : « America is back ». En face des sprinteurs américains, nulle trace de « l’empire du mal soviétique » ni même d’un quelconque ennemi, simplement un rival sportif qui semble sur le déclin. Ultradominateur depuis les Jeux de Pékin en 2008 (13 titres sur 18) et les Mondiaux de Berlin en 2009 (20 titres sur 24), le sprint jamaïcain ne possède plus le même réservoir de talents. Alors que cette année, Elaine Thompson a écrasé les championnats de son pays avec 34 centièmes d’avance sur sa dauphine (10’’71 contre 11’’04), en 2008, elles étaient cinq sprinteuses en moins de 10’’87… Cette incroyable densité allait d’ailleurs aboutir à un incroyable triplé lors des JO de Pékin.

« Un véritable creux générationnel »

Cette année, la lente agonie du sprint jamaïcain pourrait se poursuivre puisque ses deux têtes d’affiche ne disputeront pas le 200 m. Lors des derniers JO, Bolt et Thompson avaient pourtant réussi le doublé. Si le premier en était un grand habitué, la deuxième avait été la première femme à y parvenir depuis l’Américaine Florence Griffith-Joyner en 1988 à Séoul. « Il y a tout d’abord un véritable creux générationnel. Ensuite, l’effet d’émulation provoqué par l’ouverture sur l’île du centre d’entraînement de l’IAAF en 2001 s’est épuisé. Ce n’est plus suffisant de garder à domicile les coachs et les athlètes », explique Pierre-Jean Vazel, ancien entraîneur de Christine Arron.

Un autre élément est également susceptible d’avoir joué un rôle. L’augmentation ces dernières années en Jamaïque des contrôles antidopage inopinés pourrait avoir mis un frein cette écrasante domination. Une tentative d’explication qui ne devrait pas plaire à Usain Bolt, qui a vivement réagi en conférence de presse à une journaliste qui faisait le lien entre les chronos moins rapides de la finale et la lutte antidopage : « C’est très irrespectueux.
J’ai prouvé, nous avons prouvé que nous avions travaillé dur. Nous avons fait tellement de belles choses ces dernières années. Alors, oui, c’est lent cette année, mais on est venus et on a fait du mieux possible pour les gens. »

Samedi prochain, quoi qu’il en soit, les relais jamaïcains ne seront sans doute pas les mieux armés pour redonner le sourire à leurs supporteurs, tant ceux des Etats-Unis s’annoncent difficiles à battre. Ainsi, à Londres, le bilan des athlètes de l’île caribéenne pourrait être le plus mauvais depuis les Mondiaux de 2003 à Paris où ils n’avaient pas remporté la moindre médaille. Avant même le départ en retraite officiel de Bolt, la Jamaïque, plus que jamais orpheline de son joyau, est à la recherche de nouveaux talents.