« Tomiton (Notre pays) », de l’artiste béninois Daavo, 2016. / Centre Arts et Cultures de Lobozounkpa, Cotonou

Voilà encore cinq ans, l’exposition « Stop Ma Pa Ta » aurait été impensable dans le temple de l’art conceptuel qu’est la Villa Arson, à Nice. Il a pourtant suffi d’un voyage impromptu à Cotonou, au Bénin, pour qu’Eric Mangion, directeur du centre d’art azuréen, se décide à exposer une quinzaine d’artistes issus du Centre Arts et Cultures de Lobozounkpa, fondé par le marchand parisien Robert Vallois et dirigé par l’artiste Dominique Zinkpè.

Certes, l’Afrique est à la mode. Au printemps, le continent était partout, à la fondation Louis-Vuitton comme à La Villette, à Paris. Eric Mangion n’est pas dupe de l’emballement dans lequel il s’inscrit sciemment. Ni de la difficulté à rendre compte de la scène artistique d’un pays où il n’a séjourné que quelques jours.

« Comment éviter la carte de la fausse candeur, l’exotisme sympathique, les discours manichéens ou tout simplement les jugements raccourcis, qu’ils soient sociologiques ou esthétiques ?, s’interroge-t-il dans le catalogue de l’exposition. Tout cela n’est pas évident, surtout quand on ne dispose d’aucune expérience réelle et concrète des réalités africaines. »

Sens de la récupération

A deux ou trois exceptions près, les artistes retenus sont tous autodidactes et pratiquent le recyclage. « Ils travaillent tous avec la matière qu’ils ont à proximité, résume Dominique Zinkpè. Il y a une volonté de dompter ce qui les entoure et de lui donner un sens. » Ce sens de la récupération sonne comme une réplique à une surconsommation dont l’Afrique n’est pas indemne, avec l’afflux de produits bon marché made in China.

« Les tomates sont mises en boîte en Chine avec des produits chimiques et revendues chez nous. C’est comme le wax qui est l’emblème de l’Afrique et qui n’est pas imprimé chez nous », grince Benjamin Déguénon, dont l’œuvre Stop Ma Pa Ta (« ma matière première n’est pas ta matière ») a donné le titre à l’exposition : « Avant, les colons venaient nous piller et nous faisaient travailler dans les plantations de canne à sucre. Aujourd’hui, leur politique, c’est de nous diviser en gardant la main. »

Edwige Aplogan ne dit pas autre chose en tapissant les murs des drapeaux des nations africaines qui ont acquis leur indépendance dans les années 1960 et des pays caribéens où furent envoyés les esclaves noirs. A ces oriflammes s’ajoutent au sol des billets de francs CFA, monnaie de l’Afrique francophone fabriquée à Chamalières (Puy-de-Dôme). « On est à la merci d’une grève en France, ironise l’ancienne juriste. Cette monnaie maintient les pays africains dans une relation dominant-dominé. Il faudrait de vraies monnaies nationales. »

Mer de tongs

Au thème de l’affranchissement s’ajoute celui de la migration. Le motif du navire ponctue le parcours, ad nauseam : le bateau de Dominique Zinkpè composé de fétiches posés sur une mer de tongs ; la pirogue chargée de boîtes de conserve martelées de Benjamin Déguénon ; la barque ensablée remplie d’inquiétantes têtes de poupées de Gérard Quenum. Ces vaisseaux composés de bric-à-brac se réfèrent aux flux migratoires d’aujourd’hui et aux esclaves d’hier, envoyés en masse depuis l’Afrique en Europe et en Amérique.

« Les Béninois ne sont pas nombreux à migrer, reconnaît pourtant Dominique Zinkpè. On a une démocratie qui fonctionne à peu près, il y a de la pauvreté mais pas de famine. Il y a une fierté de vivre au Bénin. Je viens souvent pour travailler en France, mais m’y installer, non. J’ai besoin de ma communauté et de beaucoup d’espace. » D’autres en revanche ont cherché leur salut à l’étranger. « J’ai plus de repères en France qu’au Bénin, admet Julien Vignikin, formé à l’école des Beaux-Arts de Dijon. Mais j’ai eu besoin de revenir vers l’Afrique pour me reconstruire au moment où j’ai senti le vide devant moi. »

« Des ponts, pas des murs », de l’artiste béninois Richard Korblah, 2015. / Gallerie Vallois, Paris

Didier Viodé a quant à lui posé ses bagages à Besançon en 2001. Ce « Béninois-Bisontin » entretient désormais un lien plus distant avec son pays d’origine. « Mes attaches, ce sont les coups de fil qui font mal, confie-t-il. On s’appelle parce qu’il y a des besoins d’argent, c’est presque dénué de sentiment. Je dis à mes frères qui veulent venir en France de ne venir que pendant les vacances, mais ils estiment que si je suis là, c’est que tout va bien. Ils ne voient pas la difficulté de passer du statut d’étudiant à résident. »

Pourtant dans ses aquarelles, Didier Viodé rend hommage à ceux qui bravent les eaux de la Méditerranée. Tout comme Richard Korblah, fils d’un immigré ivoirien, qui traite du déplacement des populations dans une installation où se mêlent toiles de jute, sciure de bois et terres. « On parle tout le temps de l’immigration en Occident, mais au sein même de l’Afrique les migrants subissent des brimades, insiste-t-il. Je suis né en Côte d’Ivoire, et lorsque je suis retourné au Bénin, on nous percevait comme des étrangers car nés ailleurs. »

Ville imaginaire

Les meilleures œuvres de l’exposition se détournent toutefois de ce sujet trop rebattu. Diplômé en génie civil, Daavo a réalisé la maquette d’une ville imaginaire africaine, à l’urbanisme désordonné et à l’électricité vacillante. S’il aspire à moins de chaos, le jeune artiste ne croit pas au salut par l’étranger. « Les réalités des villes occidentales ne sont pas les miennes, indique-t-il. Je ne crois pas que l’avenir de l’Afrique passe par des projets que l’Europe conçoit pour ce continent. Nous avons des cerveaux suffisamment bien construits pour en faire quelque chose. » Et d’ajouter, en soupirant : « Les Béninois ont toutes les connaissances qu’il faut. Ce sont les intellectuels de l’Afrique mais ils n’en font rien. »

« Stop Ma Pa Ta », jusqu’au 17 septembre à la Villa Arson, 20, avenue Stephen-Liégeard, 06105 Nice, tél. 04 92 07 73 73, www.villa-arson.org