Dans une ferme avicole à Lunteren, aux Pays-Bas, le 7 août. / ROBIN VAN LONKHUIJSEN / AFP

C’est un scandale alimentaire qui prend de l’ampleur à mesure que progressent les enquêtes. Mardi 8 août, le ministère de l’agriculture français menait des contrôles de grande envergure pour déterminer si des produits préparés à base d’œufs contaminés par un insecticide (le fipronil) se sont retrouvés dans nos rayons. Après la Suisse, l’Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni, la France est à son tour touchée par cette affaire dont l’épicentre se trouve en Belgique et aux Pays-Bas. Explications.

  • D’où le scandale est-il parti ?

L’affaire a été révélée au grand public quand le groupe de hard-discount Aldi a annoncé, vendredi 4 août, retirer tous les œufs de la vente en Allemagne. Cette « mesure de précaution » fait suite à la découverte dans des œufs néerlandais et allemands d’un taux élevé de fipronil, un insecticide dont l’usage est prohibé sur les animaux destinés à la consommation humaine.

Trois sociétés sont visées. La première, une jeune société néerlandaise promettait aux exploitants avicoles un service plus efficace d’éradication du pou rouge, un parasite qui infeste une grande part des exploitations de poules pondeuses. La société proposait un traitement, commercialisé sous l’appellation Dega-16, capable de supprimer durablement le parasite, pendant environ huit mois, des installations traitées par ses soins (contre trois mois environ habituellement). Elle se fournissait auprès d’une autre entreprise, basée en Belgique, qui commercialise certains des produits utilisés dans les campagnes de désinfections.

Une troisième société, roumaine celle-ci, compte au nombre des fournisseurs du prestataire belge et se trouve, elle aussi, dans le collimateur des enquêtes ouvertes en Belgique et aux Pays-Bas. Les responsabilités dans l’adjonction du fipronil à un produit autorisé, pour en doper l’efficacité, n’ont pas encore été établies.

  • Qu’est-ce que le fipronil ?

Le fipronil est un biocide (insecticide et acaricide) synthétisé par Rhône-Poulenc au milieu des années 1980 et mis sur le marché en 1993, notamment sous la marque Régent. Il a été au centre de controverses au début des années 2000 pour sa toxicité pour les abeilles et certains de ses usages ont été soumis, en 2013, à un moratoire européen. Strictement interdit sur les animaux destinés à la consommation humaine, il est toujours largement utilisé comme antiparasitaire (antitiques, antipuces) pour les animaux de compagnie.

  • Quels sont les pays concernés ?

Les pays les plus touchés sont la Belgique et les Pays-Bas, d’où est parti le scandale. En Belgique, la production d’une cinquantaine d’entreprises est bloquée, soit près du quart des exploitations avicoles du pays. Aux Pays-Bas, ce sont 180 exploitations qui sont à l’arrêt. Selon le syndicat agricole néerlandais LTO, près de 300 000 poules pondeuses, contaminées par le fipronil, ont déjà été abattues. Plusieurs millions d’animaux pourraient connaître le même sort, préviennent les aviculteurs néerlandais, si leur production ne trouve pas de débouchés.

En Allemagne, en Suisse et en Suède, plusieurs dizaines de millions d’œufs importés des Pays-Bas ont été retirées des étals et détruits. Le Royaume-Uni et la France sont également touchés, mais dans une moindre mesure. Mardi 8 août, les Pays-Bas procédaient également à des tests sur la viande de poulet provenant d’élevages dont les œufs ont été infectés pour déterminer une éventuelle présence de fipronil.

Dans une ferme avicole à Lunteren, aux Pays-Bas, le 7 août. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

  • Dans quelle mesure la France est-elle touchée ?

Mardi dans la matinée, aucune indication de contamination d’œufs coquilles en vente sur le territoire français n’était signalée par les services du ministère de l’agriculture. Le 28 juillet, un exploitant du Pas-de-Calais a spontanément prévenu les autorités après avoir noté que le produit antiparasitaire utilisé dans son exploitation était celui incriminé en Belgique et au Pays-Bas. Selon le ministère de l’agriculture, sa production a été bloquée avant sa mise sur le marché. Aucun autre cas semblable n’a pour l’heure été rapporté dans l’Hexagone.

Deux entreprises de transformation d’œufs, basées dans le Maine-et-Loire et la Vienne, ont importé des Pays-Bas, entre le 11 et le 26 juillet, des œufs contaminés. La première a utilisé 30 000 œufs, la seconde a pu produire 200 tonnes d’ovoproduits (blancs ou jaunes d’œufs sous forme liquide, en poudre, etc.) destinés à l’industrie agroalimentaire et entrant dans la composition de nombreuses denrées (pâtisseries, plats préparés, etc.).

Mardi, une enquête de traçabilité conduite par les services du ministère de l’agriculture était en cours, afin de déterminer la nature et le destin des produits concernés, dont on ignore encore s’ils ont atteint le consommateur, et si oui, sous quelle forme et vendus par quelles marques.

  • Les œufs bio sont-ils concernés ?

Selon les informations transmises par les autorités belges et néerlandaises à la Commission européenne, des exploitations conventionnelles mais aussi bio sont concernées, des produits autorisés en agriculture biologique ayant été, semble-t-il, coupés au fipronil.

  • Consomme-t-on beaucoup d’œufs et d’ovoproduits ?

La France est le premier producteur européen d’œufs, avec 14,7 milliards d’unités en 2015, selon les données de la filière avicole. « Nous produisons 101 % de ce que nous consommons, explique Philippe Juven, président du comité national de promotion de l’œuf. Même si nous exportons et importons beaucoup, nous pourrions donc être autosuffisants, contrairement à l’Allemagne, qui importe beaucoup des Pays-Bas. »

Les Français consomment en moyenne 216 œufs par an et par habitant, contre 200 en moyenne en Europe. Parmi eux, 40 % sont mangés sous forme d’ovoproduits, c’est-à-dire, dans le jargon industriel, des œufs qui ne sont pas livrés dans leur coquille mais transformés à l’état liquide, en poudre, séchés ou congelés. Vendus à l’industrie agroalimentaire et à la restauration hors domicile, ils servent à fabriquer des pâtisseries, des pâtes, des sauces, des plats cuisinés ou des glaces.

En 2013, 290 000 tonnes de ces dérivés ont été fabriquées en France par une soixantaine d’industriels, selon les chiffres de FranceAgriMer. Ces usines s’approvisionnent à 90 % avec des œufs français. La France exporte ensuite une partie de ces ovoproduits (25 %), essentiellement à destination de la Belgique, de l’Espagne, du Royaume-Uni et de l’Allemagne.

  • Y a-t-il des risques pour la santé ? Faut-il arrêter d’en consommer ?

Le fipronil a un mode d’action neurotoxique et est qualifié de « modérément toxique » pour l’homme par l’Organisation mondiale de la santé. Mais selon l’organisation, il peut être dangereux pour les reins, le foie et la thyroïde. Il est également soupçonné d’être un perturbateur endocrinien par l’institut de recherche The Endocrine Disruption Exchange (TEDX).

Les pays divergent quant à l’appréciation des risques pour la santé publique. « La présence de traces de fipronil ne constitue pas en soi un risque ; seules les analyses engagées permettront de déterminer si le niveau de contamination de ces produits est susceptible de présenter un risque pour la consommation », juge le ministère de l’agriculture, sur la même ligne que les autorités sanitaires belges.

En revanche, l’agence de sécurité sanitaire néerlandaise (NVWA) conseille fortement de ne pas consommer les œufs les plus contaminés aux Pays-Bas, qui « constituent un danger pour la santé publique ». Les risques sanitaires dépendent fortement de la durée de l’exposition. Or, selon des informations de la presse néerlandaise, l’utilisation frauduleuse de fipronil en Belgique et aux Pays Bas pourrait avoir commencé en 2016 et avoir ainsi duré plus d’un an sans avoir été détectée.

Le ministère français de l’agriculture a saisi, lundi 7 août, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) pour avis. En 2005, l’agence avait déjà rendu un rapport sur le sujet. Celui-ci était plutôt rassurant quant à l’exposition alimentaire, mais notait que les expositions cumulées (alimentaires, domestiques, etc.) au produit pouvaient ne laisser qu’une marge de sécurité faible pour les jeunes enfants. Le rapport, réalisé en situation d’utilisation non frauduleuse de la substance, notait cependant « l’insuffisance des données disponibles sur la contamination des denrées alimentaires ».

Dans une ferme avicole à Lunteren, aux Pays-Bas, le 7 août. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

  • Quels sont les contrôles et la traçabilité qui s’appliquent aux œufs ?

Les élevages avicoles font l’objet de contrôles obligatoires tous les quinze jours pendant la période de ponte des poules par le vétérinaire sanitaire de l’exploitation qui vérifie l’absence de salmonelle. S’y ajoute, une fois par an, un contrôle officiel mené par les services de l’Etat.

Les produits de l’élevage sont commercialisés sous forme d’œufs coquilles ou d’ovoproduits. Les premiers passent par un centre d’emballage qui vérifie leur qualité grâce à la technique du « mirage » – une forte lumière permet de s’assurer qu’il n’y a ni fêlure ni tâche de sang. Ils sont ensuite marqués d’un code (exemple : 1 FR XAZ 01), composé par :

  • le chiffre indiquant le mode d’élevage : « 0 » : bio ; « 1 » : plein air ; « 2 » : au sol ; « 3 » : en cage ;

  • le code ISO de l’Etat membre d’enregistrement : « FR » pour France, par exemple ;

  • l’identification du mode d’élevage : en France, trois lettres pour le site d’élevage suivies de deux chiffres pour le numéro du bâtiment.

Les autres œufs destinés à l’industrie agroalimentaire n’ont pas de marquages industriels. Le consommateur n’a accès qu’au nom de l’établissement qui les a transformés, ce dernier devant être en mesure de dire d’où vient sa matière première. En 2016, le ministère de l’agriculture a réalisé plus de 60 000 contrôles de la chaîne alimentaire – dont 14 % sur la filière avicole – sans détecter de problèmes.

  • Pourquoi la Belgique avait-elle caché cette information ?

L’information d’une contamination d’une exploitation belge a été transmise aux autorités sanitaires belges le 2 juin. Celles-ci ont attendu le 20 juillet pour alerter les Etats membres de l’Union européenne afin de préserver le secret de l’instruction en cours. Cette décision fait polémique en Belgique, d’autant que le public n’a été alerté que fin juillet. Une enquête est en cours.