Documentaire sur Arte à 22 h 30

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis sont les véritables maîtres d’œuvre des procès de Nuremberg et de Tokyo. Leur obsession : permettre au droit international de s’ériger en défenseur de la paix. Longtemps, les juristes furent les seuls à vraiment s’intéresser aux milliers de pages d’enquêtes et de plaidoiries de ces deux événements majeurs de l’histoire du XXe siècle, avant que les historiens ne les examinent à leur tour dans les années 1990.

Le réalisateur russe installé au Canada Tim B. Toidze, auquel on doit notamment un très bon documentaire sur le voyage méconnu de Nikita Khrouchtchev aux Etats-Unis en 1959, n’a pas cherché à relier le procès de Nuremberg à celui Tokyo, comme pourrait le laisser entendre le titre français – le titre original est, il faut le dire, plus efficace : Judging Japan (« juger le Japon »). Son film raconte le Japon à l’heure du procès de Tokyo, de la reddition aux Alliés, le 15 août 1945, du décollage de l’économie nippone au début des années 1950.

TOJO ON TRIAL 1940s

Tout en proposant un récit fiable de la période dans ce documentaire nourri d’archives américaines et japonaises, Toidze suit les pas du grand absent de ce ­procès : l’empereur Hirohito. S’il dut renoncer à sa nature de « divinité à forme humaine » le 1er janvier 1946, il fut absous par les Américains. Pour le général Douglas MacArthur, grand héros de la guerre du Pacifique, gouverneur militaire du Japon, juger Hirohito aurait anéanti tout espoir de démocratiser le pays. L’empereur fut ainsi transformé en une icône sainte ne portant aucune responsabilité morale à l’égard des atrocités commises par son armée.

Le mérite du film est surtout d’avoir réussi à incarner les débats du Tribunal militaire inter­national pour l’Extrême-Orient (TMIEO). Pas moins de 11 juges, 400 témoins, avocats, procureurs et hommes de loi se réunirent pour juger 28 hauts dirigeants ­japonais tenus responsables de la politique de conquête et de terreur menée par leur pays, de l’invasion de la Mandchourie en 1931 à la fin de la seconde guerre mondiale.

Bombarder Pearl Harbour

Toidze s’est focalisé sur quelques personnages-clés : le président du tribunal, l’Australien William Webb, qui tentera en vain de faire comparaître Hirohito ; le général japonais Hideki Tojo, qui déclarera lors de son premier inter­rogatoire que « nul ne pouvait s’opposer à l’empereur », impliquant que seul Hirohito pouvait prendre des décisions telles que de bombarder Pearl Harbor ; ou encore le procureur en chef, l’Américain Joseph Keenan, qui contraindra Tojo à affirmer, lors d’un second interrogatoire, que son empereur avait toujours été un homme de paix.

Hideki Tojo, premier ministre de l'Empire du Japon pendant la seconde guerre mondiale. / © NARA

Le film relève ainsi une à une les incohérences et les contradictions de ce procès. Sur les onze juges du tribunal, neuf représentaient des nations occidentales. Seul membre à considérer que tous les accusés n’étaient pas coupables, le juge indien Radhabinod Pal n’eut de cesse de questionner la légitimité de ce tribunal. Très critique, il pointa l’hypocrisie des puissances organisatrices qui étaient déterminées à démocratiser le Japon alors qu’elles avaient fait usage de la bombe atomique ou commis des crimes coloniaux.

Le documentaire conclut d’ail­leurs logiquement à un gâchis, sans toutefois offrir de réflexion sur ce que le procès a apporté. Car, à l’instar du procès de Nuremberg, celui de Tokyo participa à l’effort pour l’établis­sement d’une justice pénale internationale. En dépit de ce bémol, ce film n’en reste pas moins passionnant.

De Nuremberg à Tokyo, de Tim B. Toidze (Fr.-Can.-Jap., 2015, 55 min).