Pierre-Ambroise Bosse lors de la finale du 800 m à Londres le 8 août. / GLYN KIRK / AFP

Pierre-Ambroise Bosse n’a pas beaucoup dormi. Au lendemain de son inattendue victoire en finale du 800 m aux Mondiaux de Londres mardi 8 août, le Français a dû répondre aux nombreuses sollicitations des journalistes.

« C’est la première fois que je reviens en conférence de presse » après une course, s’est-il amusé, mercredi en début d’après-midi, dans l’hôtel de la délégation française. « Au début des championnats, on répond debout, puis apparemment quand on a une médaille on est assis, c’est agréable. » Pour le Français, l’exercice des questions-réponses s’apparente à un jeu qu’il apprécie, même fatigué.

Vous avez des petits yeux…

J’ai menti hier : j’ai moins bu que prévu. Deux bières. Une quand j’ai retrouvé mes parents et mes potes, et une deuxième qui a suivi : il fallait quand même trinquer. J’ai des petits yeux, parce que je suis très nerveux depuis des heures et des heures. Je peux le confirmer : on est plus nerveux après une victoire qu’après une défaite.

Etes-vous stressé ?

Bien sûr que je suis en stress. C’est la panique totale à l’intérieur, il se passe des choses, il y a un feu d’artifice là-dedans. On ne réalise pas vraiment. Ça me tombe dessus. Les gens autour font que tu réalises ce qu’il se passe, c’est la réalité. Je suis vraiment champion du monde, je peux le dire. Ça fait peur.

Vous l’aviez imaginée, cette victoire ?

Oui. Mais généralement les fantasmes mettent un peu de temps à se réaliser. Je trouve que ça arrive un peu tôt.

Qu’est-ce qui vous fait peur ?

La suite me fait peur. Je fanfaronne, mais dans la vraie vie j’aime bien mon petit confort, je dors beaucoup, comme les chats – pas dix-huit heures par jour non plus. Je ne dis pas que je n’aime pas les gens, je les aime, mais pas tout le temps. J’aime beaucoup être seul, malgré tout.

Ça me fait peur de me dire que j’ai peut-être passé un cap, que je vais arriver dans un bar, et qu’il y a quelqu’un qui va prendre une photo, ou alors que je vais avoir un rendez-vous galant et que quelqu’un va le raconter parce qu’il aura l’oreille tendue. Ce sont des petits détails.

Je ne dis pas que je suis une superstar, loin de là. En tout cas, pendant quelques semaines, ça risque d’être ce genre de choses. Mais j’aime bien être discret. J’aime bien sortir prendre le métro et aller chez le kiné en jogging.

Vous avez conscience d’être rentré dans un cercle restreint ?

A partir du moment où tu as une médaille, les gens te voient autrement. J’ai fait la boulette de l’avoir. J’ai toujours été l’un de ceux qui avaient le moins de notoriété en équipe de France. Ça me plaisait.

Mais vos déclarations font forcément le buzz…

Pendant quelques semaines oui, mais après c’est fini. Je ne dis pas que c’est désagréable d’ailleurs, il y a pire comme sensation que de se faire reconnaître dans la rue. Bien sûr que ça fait plaisir. Quelque part les gens te rendent ce que tu leur donnes sur la piste, c’est un retour chaleureux. Mais ça fait peur. J’ai peur de devenir celui qui est reconnu à chaque coin de rue.

Le côté fantasque, c’est une carapace ?

Oui et non. C’est un débat perpétuel : est-ce que c’est vraiment moi qui vous parle ou un personnage que j’ai inventé ? Non, c’est quand même moi. Je suis sérieux avec vous. Quand je vous dis que j’ai peur de la suite, et que j’ai peur dans mes courses, qu’on hésite à chaque moment… Hier c’est vrai que je n’ai pas beaucoup hésité. Et ça a payé.

Vos blagues, c’est instinctif, ou vous les préparez ?

C’est plus de l’improvisation qu’autre chose. Ce serait malheureux de préparer ses interviews. C’est Nelson [Monfort] qui me procure ça… J’ai envie de me marrer dès que je le vois. Hier, il avait des petites larmes, ça m’a fait plaisir. C’est parce que j’ai vu ses larmes que j’ai voulu l’imiter.

On a l’impression que vous prenez presque plus de plaisir à parler après la course qu’à courir…

Je prends beaucoup plus de plaisir à courir. Après, j’aime bien le jeu des journalistes. Pour moi, c’est du jeu tout ça. Et puis il y a les endorphines : après les courses, pfiou, on se sent un peu bizarre, alcoolisé. C’est pour ça que je suis relax.

Avez-vous reçu beaucoup de sollicitations et de félicitations depuis hier ?

Elles sont là, avec vous, les sollicitations… Les aisselles commencent à chauffer, ça fait bizarre de susciter autant d’intérêt, j’ai l’impression d’être dans la peau de quelqu’un d’autre. Hier, je n’arrivais pas à dormir, je me suis retrouvé seul à un moment donné, il était 6-7 heures du matin. Je suis allé sur Twitter [pour voir les tweets le concernant]. Et puis là j’ai cliqué sur « charger plus », encore et encore. Je n’ai jamais autant appuyé, je me suis cru sur Tinder ! Je n’ai pas réussi à charger tous les messages, il y en avait tellement.

Quel était votre état d’esprit avant la course ?

Je n’avais pas peur de gagner. Je n’avais pas peur de perdre non plus. Je n’avais pas peur de courir, et ça c’est le plus important. Ça fait toujours bizarre de courir un 800 m. On ne s’y habitue jamais vraiment, et encore moins en championnats du monde. Je me suis dit juste avant : « Ces adversaires, tu les as tous déjà battus une fois. » Pourquoi pas les battre dans la même course, la plus importante de l’année ? Puis ça s’est produit, comme par miracle, comme par magie.

Qu’est-ce qui vous fait peur, dans un 800 m ?

La douleur, avant tout. La prise de décision, et celle que tu ne prends pas. Le 800 m, c’est une accumulation de petits regrets. Tu te dis : « Putain, pourquoi je ne suis pas passé à ce moment, je suis sûr que j’aurais pu gagner, j’aurais pu faire ci, j’aurais pu faire ça… » Et hier j’ai vraiment tenté mon coup. On ne sait pas vraiment, quand on met la « boîte », ce qui va se passer derrière.

Pierre-Ambroise Bosse, dans les utimes mètres de la finale, mardi 8 août à Londres. / JEWEL SAMAD / AFP

Racontez-nous les 250 derniers mètres de votre finale.

Quand je commence à attaquer, je me dis : « Ça va être long. » Qu’il va falloir faire un très gros effort, que je vais payer cher. Mais en même temps, RAB [rien à br…, sic], j’y vais. J’avais anticipé de devoir doubler juste avant le virage, je m’étais préparé psychologiquement. Ils ne me laissent pas passer et je dois en rajouter une couche.

C’était une accélération en deux coups, comme un coup de turbo, un coup de nitroglycérine. Mais je n’avais plus de nitro, je n’avais plus qu’à dérouler, en sachant que j’allais sûrement perdre. Dans le dernier virage, je me suis dit : « Si la course s’arrête là, t’es champion du monde, c’est beau quand même ! » Et cette émotion est restée jusqu’à la fin.

Quand vous placez votre attaque, à l’entrée du dernier virage, vous êtes-vous dit que les autres allaient vous rattraper ?

Je suis focalisé sur ma foulée à ce moment-là. Ce n’est qu’à la fin du virage que je regarde le grand écran, et je me surprends moi-même. Je me dis : « Qu’est-ce qu’ils font ? Pourquoi ils ne sont pas là ? » J’ai fait un bon coup de poker. Adam Kszczot [le Polonais, deuxième] m’a sous-estimé : il est parti de trop loin, ce qui lui coûte la victoire. Il revient à toute vitesse dans la dernière ligne droite ; je n’aurais pas dû gagner cette course. Il s’est dit : « Le mec il fait toujours la même, il va faire 19 secondes dans le dernier 100 mètres, il va se téléporter de la première à la huitième place ! » Il s’est dit : « Je vais gagner facile. » Mais pas ce jour-là. Leurs erreurs ont fait ma victoire, hier.

Cette dernière ligne droite a été dure ?

C’est une ligne droite de persévérance, de souffrance, de tant de choses qui font que le 800 m est extraordinaire. C’est devenu ma passion, ça ne l’est pas à la base. Tu ne peux pas fêter une victoire [en 800 m] comme tu fêtes un 100 m. A l’arrivée, j’ai dû dire : « On va attendre pour les photos, faut que j’aille faire un truc bizarre… » J’ai vomi. Ça c’est la douleur du 800 m. Quand je vois les mecs prendre leur bouquet de fleurs à la fin des courses et leur drapeau, ça me fait rire. Là on voit un vrai contraste entre un mec qui triche et un mec qui triche pas.

Votre préparation cette année a été fortement perturbée. Comment expliquer cette performance ?

Je n’ai pas eu que deux mois d’entraînement. Ça fait cinq ans que je me prépare. Je me suis entraîné très dur depuis décembre, je suis parti en Australie deux mois, à La Réunion, à Agadir. Et chez moi, je faisais le boulot. C’est vrai que j’ai dû couper un mois, en mai, le pire scénario possible, du coup après j’ai dû griller des étapes.

Vous apportez quelque chose de nouveau à l’athlétisme français, un personnage atypique…

Peut-être. Je reste moi-même. J’espère toujours faire marrer Nelson, mais je ne vais pas gagner tous les championnats du monde qui suivent, ou les JO – même si j’en rêve. On ne sait pas ce qu’il va se passer.