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Alerte sur le commerce extérieur ! En un an, le déficit français s’est creusé de 50 %. Au premier semestre, la France a importé pour 34,3 milliards d’euros de plus qu’elle n’a exporté de biens et de services, selon les statistiques rendues publiques par les douanes mardi 8 août. C’est l’écart le plus massif depuis 2012. Il n’était que de 23 milliards d’euros au premier semestre 2016.

En juillet, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait dans un entretien aux Echos qualifié d’« extraordinairement préoccupants » les chiffres du commerce extérieur. Les données officielles du semestre ne peuvent qu’alimenter l’inquiétude du gouvernement. Alors que la conjoncture française s’améliore, que la croissance repart doucement, que le chômage reflue, tandis que les entreprises vont mieux, le déficit commercial s’alourdit dangereusement. Un point noir d’autant plus frappant que de nombreux pays européens, Allemagne en tête, dégagent des excédents, souvent record.

Encore la profonde dégradation du commerce extérieur français est-elle un peu masquée grâce aux cours des hydrocarbures, restés relativement sages. La France n’a pas à payer des sommes faramineuses pour son pétrole comme en 2008, quand le baril avait culminé à près de 150 dollars. Mais, dans l’industrie, hors énergie, la détérioration est spectaculaire. En douze mois, le déficit extérieur du secteur manufacturier a atteint 48,4 milliards d’euros. Du jamais-vu. Le solde était encore positif jusqu’au début des années 2000.

Le pays peine à exporter

Que se passe-t-il ? La France bute sur deux faiblesses. Depuis longtemps, elle peine à exporter. Faute d’une offre assez compétitive, sa part du marché mondial baisse année après année. Si bien qu’elle profite peu de la vigueur actuelle de l’économie internationale. Au premier semestre, les exportations tricolores n’ont ainsi progressé que d’un modeste 1,3 %, malgré des succès dans le luxe ou encore dans les boissons. Le phénomène est très net dans les échanges avec l’Allemagne, le premier client de la France. Depuis quelques années, « la reprise des achats allemands profite davantage aux nouveaux Etats membres de l’Union européenne qu’aux exportations françaises », souligne le ministère de l’économie.

Mais l’aggravation récente du déficit tient avant tout à une deuxième fragilité : l’appareil productif industriel se révèle si dégradé qu’« il est incapable de répondre normalement à la hausse de la demande intérieure », comme l’expliquait l’économiste Patrick Artus (Natixis) dans une note publiée mi-juillet. Faute de trouver des produits « made in France » qui les satisfont, les Français se fournissent ailleurs. Les particuliers s’offrent une voiture Dacia importée de Tanger, un téléphone coréen, des jouets chinois pour les enfants. Les entreprises incitées à investir achètent une machine-outil allemande ou un robot japonais. Les importations ont ainsi bondi de 4,4 % en un an.

Résultat : « La reprise est là, les sociétés sont reparties dans un cycle d’investissement et d’expansion, mais ce sont nos partenaires qui en profitent le plus », constate Olivier Chemla, économiste à l’Association française des entreprises privées (AFEP).

François Mitterrand s’était déjà heurté au problème en 1981. Sa relance keynésienne avait fait le bonheur de l’Allemagne et du Japon. Le gouvernement d’alors avait tenté d’endiguer l’afflux de produits étrangers, notamment en mettant en place à Poitiers un improbable blocus contre les magnétoscopes japonais. Sans succès.

Monter en gamme

Depuis, la situation ne s’est guère améliorée. Des années de désindustrialisation galopante sont passées par là. Des centaines et des centaines d’usines disparues, à l’image de celle que le chimiste américain Huntsman s’apprête à fermer à Calais (Pas-de-Calais). Beaucoup moins d’ouvertes.

Des pans entiers de l’industrie ont disparu. Dans le textile, l’habillement, le cuir et la chaussure, la production tricolore a fondu de 87 % en vingt ans ! L’industrie du meuble, celle du papier ont été mises à mal. Dans l’automobile, Renault et PSA ont transféré hors des frontières l’assemblage d’une bonne part de leurs véhicules, surtout pour le bas et le milieu de gamme. La production nationale devrait ainsi se limiter à 2,1 millions de véhicules en 2017, contre 3 millions dix ans plus tôt.

Conséquence : les Français ont beau déclarer dans les sondages être sensibles à l’argument du « made in France », jamais ils n’ont autant acheté à l’étranger. Tous secteurs confondus, la part des produits importés dans le marché national est lentement mais très sûrement passée de 23 % en 1981 à 31 % en 2016, selon l’Insee. Avec une poussée à 33 % au premier semestre 2017, liée directement à la reprise conjoncturelle.

L’économiste Sylvain Broyer, de Natixis, a fait ses calculs. Depuis vingt ans, quand la consommation française croît de 1 %, les importations s’emballent, elles, de 1,8 %. Il en va différemment en Allemagne. Une hausse de 1 % du marché intérieur y entraîne une progression de seulement 0,8 % des achats à l’étranger. Conclusion : « En France, la consommation fabrique du déficit commercial ; en Allemagne, elle donne de la production et des emplois. »

Comment sortir de cet engrenage ? Compte tenu des coûts français, notamment du travail, il serait nécessaire de monter en gamme, afin de retrouver un bon rapport qualité-prix, assurent en chœur les économistes. Objectif : « Rebâtir des franges d’industrie ou de services dans lesquels la France pourrait exporter davantage qu’elle n’importe », martèle l’AFEP, qui représente les grands groupes. En précisant : « Cela demande à la fois du temps et une politique constante, cohérente, lisible. » Tout ce dont la France a manqué depuis des années. Message transmis au président Emmanuel Macron.