Quentin Bigot lors des Jeux olympiques de Londres, le 3 août 2012. / © Kai Pfaffenbach / Reuters / REUTERS

A 24 ans, Quentin Bigot a déjà connu plusieurs vies. Voilà peut-être l’un des avantages de la précocité. Sélectionné en équipe de France lors des Jeux de Londres, en 2012, alors qu’il avait seulement 19 ans, celui que son ex-entraîneur surnommait « le Mozart du marteau » a suscité des espoirs qui accompagnent souvent les jeunes talents. Avant de provoquer la déception de ceux qui croyaient en lui, la faute à un contrôle positif au stanozolol, un stéroïde anabolisant, à l’été 2014. La triche lui a valu quatre ans de suspension, dont deux avec sursis, et lui a fait rater les Jeux de Rio.

Après avoir reconnu s’être dopé de 2012 à 2014 – une enquête est en cours, dans laquelle son coach de l’époque, Raphaël Piolanti, est mis en examen –, il a repris l’entraînement et est revenu à un niveau international.

A Londres, il y a cinq ans, vous faisiez déjà partie de la délégation française aux JO. Entre 2012 et aujourd’hui, il y a eu ce contrôle positif à l’été 2014. Comment avez-vous vécu cette période, où l’on parlait de vous uniquement pour l’extrasportif ?

Ça n’a pas été une expérience simple. Même avec le recul, c’était vraiment quelque chose de très dur à vivre chaque jour. J’avais le regret d’avoir triché, d’avoir pris des produits, d’avoir suivi mon entraîneur [Raphaël Piolanti] à l’époque. J’ai ma part de responsabilité. Il y a ce regret d’avoir fait une connerie, de m’être peut-être mal entouré.

J’essaie de ne plus y penser. Trois ans ont passé, ma vie continue. Je suis certain que dans vingt-cinq ans encore, on m’en parlera. Des gens me reprochent de ne plus en parler, de faire comme si c’était derrière, mais ils n’ont pas à vivre avec ça tous les jours. A un moment donné, c’est normal de passer à autre chose. Je ne vais pas me lamenter sur mon sort tous les matins, me flageller. Il y a d’autres personnes qui font des erreurs, il y a des choses plus graves sur terre, alors plutôt que de s’acharner sur un athlète contrôlé positif à 19 ans et qui veut revenir proprement… Je ne vais pas me dire toute ma vie : « Ah putain, j’ai été un salaud… »

Vous étiez jeune, cet épisode n’a pas mis fin à votre carrière…

Il y a du regret par rapport à ce que j’ai fait, mais c’est une expérience de vie aussi. S’il fallait en passer par là, c’est que mon destin était de repartir de zéro. Ce n’est pas plus mal. Imaginez si j’avais continué à prendre des produits pendant quinze ans sans contrôle positif, je me serais peut-être retrouvé malade à 45 ans. A 21 ans, ça m’a laissé une chance de pouvoir me reconstruire.

Avec le recul, ce contrôle positif a plus été une chance qu’un malheur. Bien sûr, ça a été douloureux sur le moment. Mais à long terme, ça me permet aujourd’hui d’aller aux championnats du monde d’athlétisme libéré de tout, proprement, et d’espérer quelque chose. Il y a du bonheur là-dedans. J’ai fait tous les efforts du monde et je n’ai plus rien à me reprocher. J’ai payé ma dette, et c’est fini.

Vous êtes plus serein en compétition qu’il y a cinq ans ?

On ne peut pas comparer l’étudiant que j’étais à l’époque à ce que je suis aujourd’hui. J’ai gagné en maturité. Concernant le marteau, on sait que c’est une discipline à maturité tardive. J’ai pris en expérience. Et comme il n’y a plus de dopage, il y a plus de sérénité. J’arrive mieux préparé qu’aux Jeux parce que j’ai mieux su gérer ma saison. En 2012, j’avais perdu ma grand-mère juste avant les Jeux. Je suis mieux aujourd’hui, et heureusement.

Comment s’est passé le retour en équipe de France après trois ans d’absence, lors des championnats d’Europe par équipes à Villeneuve-d’Ascq, à la fin du mois de juin ?

Très bien. Je n’ai pas eu de mauvaise remarque. Même s’il y en a qui le pensaient peut-être, ça ne s’est jamais vu. Au contraire, beaucoup d’athlètes sont venus me voir en me disant qu’ils étaient contents de me voir. Ils ont fait la différence entre ma carrière sportive et l’humain que j’étais. Ils ont pu être déçus par ce que j’ai fait sportivement en prenant des produits, mais ils n’ont pas mélangé l’humain et le sportif.

Certains athlètes, comme le marcheur Yohann Diniz ou la lanceuse de disque Mélina Robert-Michon, ont tenu des propos très durs envers vous. Les critiques, vous les encaissez mieux ?

Si je commence à me prendre la tête pour chaque personne qui ne croit pas que je sois revenu propre ou qui m’en veut encore, je n’ai pas fini… Autour de moi j’ai un cercle de personnes qui croient en moi. Il y a Pierre-Jean Vazel [son entraîneur actuel], mes parents, ma famille, mes amis, mon entreprise, qui m’ont vu me reconstruire après mon contrôle.

Je suis toujours un peu sonné quand je vois des commentaires sur Facebook. Mais ces gens-là ne savent pas. Ils ne m’ont pas vu, au quotidien, m’entraîner pour revenir proprement. Je comprends qu’ils critiquent, parce qu’ils ont l’image d’un gars qui prend des produits, qui fait 78 mètres, et qui revient après sa suspension et fait 78 mètres [Quentin Bigot a lancé à 77,87 m cette année et possède un record à 78,58 m, établi en mars 2014]. Ils se disent : « Ce n’est pas possible. » Mais pour revenir à ce niveau-là, cela a demandé énormément de sacrifices et d’efforts.

Vous avez entamé, en 2014, une formation pour devenir conducteur de train. C’est devenu votre métier…

J’aurais pu arrêter le marteau et vivre convenablement de mon métier de conducteur de train, qui me plaît énormément. Mais il y avait quelque chose d’inachevé au niveau du marteau. Il fallait que je revienne. Le marteau, c’est ma vie.

Vous avez dû concilier votre nouveau métier et l’athlétisme.

Je n’avais plus d’aides de nulle part, je ne pouvais plus partir en stage, il a fallu gérer ma carrière de conducteur de train en parallèle. Je travaillais entre 37 et 45 heures par semaine, de nuit, je découchais parfois à Valenciennes, parfois à Paris. Tous les trous dans mon agenda, je les bouchais avec des séances d’entraînement.

Je savais que j’étais obligé de passer par là pour pouvoir sortir la tête de l’eau. De fin 2015 à fin 2016, ça a été une année horrible, je ne sais pas si je pourrais le refaire. Mais c’était nécessaire pour revenir sur liste ministérielle et bénéficier d’aides, d’aménagements du temps de travail, ce qui est arrivé en octobre 2016.

Votre nouvel entraîneur, depuis l’été 2015, Pierre-Jean Vazel, était plutôt connu pour s’occuper des sprinteurs…

Ça faisait un moment que je le suivais sur Facebook et que je lisais ce qu’il publiait sur son blog. Je trouvais qu’il avait un point de vue très ouvert. Il est capable de parler du marteau, aussi bien voire mieux que des coaches de marteau.

Aujourd’hui, je n’ai pas peur de le dire, c’est compliqué de trouver un coach de marteau compétent, qui puisse me faire lancer très loin sans prendre de produits. Ça a été un peu une culture en France. Il fallait que je sorte de ce schéma-là, donc trouver quelqu’un qui ait un point de vue neuf sur la discipline et qui ne remette pas sur la table les mêmes rengaines – « On ne peut pas faire 76 mètres sans prendre de produits », c’est ce que j’entendais à l’époque. Je me suis dit : « On a peut-être tout faux, il faut peut-être sortir de ce cadre. »

Que vous a apporté cette nouvelle collaboration ?

Au niveau du marteau pur, pas grand-chose n’a changé. J’ai gardé ma technique, mon point fort. Mais j’avais besoin d’une meilleure programmation des pics de forme et de faire des exercices beaucoup plus variés. Avant, je faisais des lancers et de la musculation. Aujourd’hui, je fais de la musculation différemment, et puis du sprint. Avec Pierre-Jean, on est d’accord pour dire que le marteau c’est comme du sprint, sauf qu’il y a un engin de 7,26 kg au bout. C’est une accélération progressive où l’athlète doit rester relâché au maximum. Il faut être très actif du bas et très relâché au niveau du haut. Pierre-Jean m’a beaucoup appris au niveau de la récupération et de la nutrition, et je ne me suis pas blessé cette année.

Tous ces voyants sont désormais au vert. Même si on ne rattrape pas totalement le niveau de l’époque du dopage, puisque j’avais fait, en 2014, 82 mètres à l’entraînement, ce que je suis incapable de faire aujourd’hui, l’écart est atténué par tous ces voyants. Et je pense qu’à long terme ce sera beaucoup plus rentable que de se doper. Je construis quelque chose de stable.

La finale est prévue vendredi 9 août. Quelle place espérez-vous ?

Déjà, il faut passer les qualifs. Vu mes résultats cette saison, il faudrait vraiment que je me plante salement pour ne pas me qualifier en finale. Ça devrait passer, vu le niveau actuel. Le résultat de la finale dépendra de la forme du jour. Le niveau est très dense, mais le podium reste possible.